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B u h e z  U r  V a l a f e n n
26 mai 2006

LANGUE BRETONNE : QUELS ENJEUX, AU FAIT ?

La lecture d'un commentaire de Missines m'a fait réaliser combien on pouvait parfois - et c'est particulièrement vrai lorsque l'on est journaliste - s'éloigner d'une problématique et manquer de pédagogie quand on a l'habitude de suivre un sujet quasi quotidiennement.
En l'occurrence, son comm' m'a fait prendre conscience qu'il n'est pas toujours très aisé de saisir les tenants et les aboutissants des revendications actuelles concernant la langue bretonne. Quel est le problème ? Pourquoi manifester alors que des classes en breton ouvrent un peu partout ? Ils n'en ont jamais assez ? Quid de cette histoire de charte européenne des langues régionales ? Est-ce si important que cela ?
C'est clair qu'il y a de quoi y perdre son breton ! Merci Missines, donc, pour ce commentaire.
Je vais donc tâcher de résumer la situation, il est vrai complexe.
Actuellement, existent en Bretagne trois filières d'enseignement pour apprendre le breton : Div Yezh (écoles publiques), Dihun (écoles privées catholiques) et Diwan (association). Ces trois filières scolarisent 10 400 enfants cette année, sur les cinq départements historiques bretons, Finistère et Morbihan en tête. Cela représente un peu plus de 2 % des enfants scolarisés en Bretagne.
A côté de cela, le breton, parlé par plus d'un million de locuteurs jusqu'à la Grande guerre, est aujourd'hui parlé par environ 250 à 400 000 personnes, selon les statistiques. Ce nombre ne fait que baisser : il meurt environ 10 000 Bretonnants de naissance par an. Le calcul est donc facile : à ce rythme, extinction de la langue dans 25 à 40 ans maximum. Une génération, deux tout au plus.
L'enjeu aujourd'hui pour toutes celles et ceux qui sont attachés au breton est de sauvegarder la langue. En gros, de stabiliser le nombre de locuteurs à un niveau acceptable pour que la langue ne soit pas confinée à une sorte de ghetto culturel, élitiste, mais qu'elle soit parlée par une fraction conséquente de la population.
Contrairement à une idée reçue, l'enjeu, précisons-le d'emblée, n'est donc pas de faire en sorte que la totalité des Bretons apprennent le breton, qui n'a du reste jamais été parlé à l'est d'une ligne allant de Saint-Malo à Savenay, en gros.
Si l'on voulait stabiliser le nombre de locuteurs à environ 400 000 personnes - ce qui serait déjà énorme - il faudrait donc 10 000 nouveaux élèves inscrits chaque année. C'est le nombre d'enfants actuellement scolarisés, mais en tout et pour tout, de la maternelle au lycée ! Pour compenser ces 10 000 locuteurs morts chaque année, c'est en réalité 50, 60 voire 70 000 enfants scolarisés qu'il faudrait atteindre !
Actuellement, ils sont 10 400. Et l'on compte à peine 1 000 nouveaux scolarisés chaque année. 1/10e de ce qu'il faudrait.
Les défenseurs actifs de la langue bretonne (office de la langue bretonne, conseil culturel de Bretagne, commission sur la langue bretonne à la Région et surtout, une foultitude d'associations culturelles ou festives, de particuliers, d'enseignants et de parents d'élèves) s'accordent dans leur grande majorité à estimer qu'il serait déjà "optimiste" de stabiliser le nombre de locuteurs aux environs de 100 à 200 000 personnes...
Pour cet objectif plus raisonnable, la Région Bretagne et d'autres acteurs ont estimé qu'il conviendrait déjà d'atteindre les 20 000 élèves scolarisés en 2010. Le double d'ici 4 ans. Un rythme de progression de 20-25 %/an contre à peine 10 % actuellement.
Rien que cela semble déjà irréaliste, malgré un engagement très officiel pris en ce sens par la région Bretagne.
Face à cela et à l'urgence de la situation (dans 4 ans, le nombre de locuteurs aura encore baissé de près de 40 000 personnes), des manifestations sont régulièrement organisées.
Face aux multiples freins qui existent, beaucoup se disent que l'on ne sauvera jamais la langue si l'on continue comme cela, en étant tributaire du bon vouloir de l'Etat, et réclament le transfert de la compétence enseignement des langues régionales (à défaut du transfert de compétence de l'Enseignement tout court, ce qui serait anticonstitutionnel en France et donc parfaitement utopique !). Ce ne serait dès lors plus l'Etat français, mais la Région Bretagne qui assurerait le développement de ces filières, avec sûrement plus de bonne volonté.
Voilà pour les grandes lignes.
Mais pour celles et ceux qui n'auraient pas encore décroché, je voudrais rentrer un peu dans le détail de ce que j'entends par "tributaire du bon vouloir de l'Etat".

EN QUOI LE DÉVELOPPEMENT DES FILIÈRES EN BRETON EST FREINÉ PAR L'ETAT ?

Fondamentalement, le problème actuel est un problème d'ouverture de classes au sein des écoles publiques et catholiques : celles-ci ne suivent pas la demande des parents. Les ouvertures sont conditionnées par l'accord de l'Académie de Rennes et donc de l'Education nationale. Ils accordent des ouvertures au compte-goutte, parfois ferment même des classes alors que les effectifs suivent. D'autres fois, ils ne prévoient pas la continuité une fois les élèves scolarisés arrivés au collège. Dans le public et le privé, le principe est celui de la moitié de l'enseignement en français, la moitié en breton (le matin ou l'après-midi donc).
Le problème est aussi celui du recrutement des enseignants bilingues. Là non plus, ça ne suit pas la demande. Or, s'il n'y a pas de profs, il n'y a pas d'ouverture de classe possible. L'Académie freine aussi le recrutement de profs, ce qui fait un excellent prétexte pour refuser une ouverture de classe.
Bien sûr, qui dit prof titularisé dit paiement du salaire par l'Education nationale. C'est bien évidemment là que le bas blesse... L'Etat rechigne a payé des profs pour apprendre une langue régionale ! Berk ! Déjà, payer les fonctionnaires, en ce moment, ça leur donne des boutons ! Alors en breton...
D'ailleurs, pour pallier à cette pénurie d'enseignants, les écoles publiques et privées ont souvent recours à des profs suppléants, eux aussi payés par l'Etat, mais à un salaire bien moindre (en gros le SMIC). Là, l'Etat est déjà moins frileux. Mais même pour ce type de postes, il faut batailler. Car l'Etat sait bien qu'une proportion de ces suppléants tentera de passer les concours pour être titularisée. Les suppléants d'aujourd'hui seront - en partie du moins et c'est leur drame - les fonctionnaires de demain.
Le cas de Diwan (cours uniquement en breton) est encore différent : cette association, créée en 1977 dans le Finistère nord avec une classe de 7 élèves (appelés les 7 de 77), a été la première école à proposer des cours en breton, avant même le public et le privé. Elle est purement associative. Aujourd'hui, elle scolarise un tiers des 10 400 enfants en breton. Environ 3 000 enfants ! Des centaines d'enseignants, des collèges, un lycée, un centre de formation ! Cela nécessite des sommes énormes pour une seule association, qui vit essentiellement de dons, d'actions ponctuelles et des subventions des collectivités type Région Bretagne et départements. La situation, pour Diwan, est presque intenable et boucler le budget est chaque année un tour de force digne d'un funambule qui tenterait la traversée de la rade de Brest par force 8...
Pour Diwan, qui remet chaque année sa survie en jeu, l'enjeu est un peu différent. Diwan n'est pas tributaire de l'Education nationale et paye elle-même ses profs : l'avenir, pour elle, repose pour beaucoup sur la ratification par la France de la charte des langues dites minoritaires, qui exige que l'Etat assure le développement et donc la sauvegarde de ses langues régionales. L'Etat devrait dès lors soutenir Diwan. Il devrait aussi traduire tous les documents et les signalétiques officielles dans ses langues régionales. Les Britanniques, les Espagnols, les Allemands, les Italiens, les Belges (et j'en passe) le font. Pas les Français, qui prônent à l'envi dans les conférences internationales la diversité culturelle...
L'air est bien connu : faites ce que je dis. Pas ce que je fais.

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Photo. Skol Ober (cours de breton pour adultes). En breton sur le panneau : "Bienvenue sur la lune. Laissez ce lieu aussi propre que vous l'avez trouvé. Merci à vous".
Précisons que près de 5 000 adultes suivent des cours de breton. Cela devrait donc relativiser un peu le nombre d'élèves scolarisés nécessaire pour maintenir la langue. Toutefois, compte tenu du nombre d'abandons, du côté des parents en cours du soir ou des élèves qui ne font pas toute leur scolarité en breton, on peut estimer que la différence est négligeable.

Précision. Ceci traite exclusivement de la problématique globale de la sauvegarde de la langue bretonne. Mais on ne scolarise pas  ses enfants dans un seul but militant ou utilitariste. Tous les enseignants bilingues insistent sur ce point : la démarche individuelle de chaque famille est différente et l'accent est porté sur l'enrichissement à apprendre une autre langue, à jongler facilement entre français, breton et anglais.

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Commentaires
M
Merci pour toutes ces précisions (et pour la pub au début). Mais je crois qu’il fallait remonter encore plus loin tellement mon ignorance est immense. J’ai parlé de ça avec une connaissance bretonne ce week end. Je ne savais pas que cette langue avait été interdite dans les écoles il n’y a de cela pas si longtemps (hi !)
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K
Plus sérieusement, bravo au comm de Kleger, et merci à l'hote de les stimuler.
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K
Quoi que le dernier "Jacq" est un peu teinté de rose! Plié de rire! Comment ce fait-ce?
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B
Très intéressant point de vue, surtout de la part d'un lecteur en cours d'apprentissage du breton. J'avoue que j'ai plus de faciliter à lire du Yann Fañch Jacq que du Daniel Doujet (qui n'est pas le summum de la difficulté en breton non plus, mais j'ai déjà plus de mal).<br /> Pour autant, je suis d'avis qu'il est important, essentiel même, de garder et de promouvoir une littérature bretonne de qualité. Les lecteurs doivent se nourrir de difficulté pour progresser et ainsi accéder à des lectures plus ardues.<br /> Il en est de même pour toutes les langues, du reste. On commence par la bibliothèque rose (attention, je ne compare pas Jacq à la bibliothèque rose, on s'entend !) et on continue par Stendhal ou Kant...
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K
Bien que ça ne soit pas le coeur du sujet de la note je voudrais rebondir (spling !...bruit de rebondissement) sur le comm de Karagar et enfoncer le clou (ouille !... bruit de clou sur doigt). Oui, c’est un foutu pari d’écrire en breton. Difficile de trouver l’équilibre entre la complexité de langage qui s’impose d’elle-même à l’auteur pris dans la complexité de son univers, et ce que l’on sait des compétences de lectures des bretonnants actuels. Difficile de résister aux sirènes de ceux pour qui un auteur n’est qu’un élément (un pion ?) dans la lutte pour la survie de la langue et qui, sous prétexte d’adaptation au niveau général voudraient vous amener à « faire simple » ! A ceux-là j’ai envie de demander : pour qui écrit-on ? Et je répond : pour soi, pour satisfaire un besoin profond, parce qu’on ne peut pas faire sans ! Bien sûr on aime être lu, l’ego est là qui vous titille ! Et on aime transmettre ! Mais pas n’importe quoi, n’importe comment. C’est comme une trahison de soi-même. Et de plus je ne crois pas que l’on sauve une langue en la nourrissant d’aliments sans goût. Je ne crois pas que l’on respecte ni que l’on attire les lecteurs en leur donnant des choses faciles. La lecture aussi est un plaisir qui se nourrit de la difficulté. Arrêtons de nous comporter comme des sous-machins et voyons ce qui se passe ailleurs. Il me semble que le lecteur francophone lamda lit plus Paolo Coelho - et en citant celui-là je suis peut-être optimiste - que Marguerite Yourcenar (hihihi, je ne me prend ni pour l’un ni pour l’autre !). Avec lequel la langue et la culture française s’enrichissent-elles ? Bon, j’arrête, parce que je pourrais squatter indéfiniment la maison de nôtre hôte et faur pas pousser ! Encore merci à lui pour l’accueil patient !
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