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B u h e z  U r  V a l a f e n n
12 novembre 2014

Going home


 

C'était comme dans un rêve. Le paysage était infini. Il embrassait le ciel sans nuage, cassé seulement dans sa linéarité par le cirque des montagnes à l'ouest, au nord et à l'est. Je n'avais pas vingt ans mais je touchais déjà du doigt le rêve de trois générations depuis mon grand-père Joseph, dresseur d'éoliennes américaines en son mid-ouest français, bien avant le retour en grâce écologique. Comme s'il vivait quelque part entre les plaines de l'Arkansas et la Louisiane, il avait aménagé un étang sur sa propriété où il naviguait dans sa barque comme au milieu des bayous. En point de mire, son éolienne foreuse d'eau à défaut de pétrole, son vallon et ses rails de chemin de fer pour que les enfants puissent jouer au grand 8 déroulé. C'était un circuit sans boucle, tout en ligne droite, avec son petit wagon kamikaze ne pouvant s'arrêter qu'entravé par des pneumatiques de vieilles tractions-avant ou de bottes de paille. A l'évidence, Jo n'était pas né du bon côté de l'Atlantique ; il vivait sur un autre continent. 

Malheureux dans la ferme parentale, à quelques encablures de l'une de ces Napoléonville en damier, il rêvait de les voir s'élever à la verticale. Le damier était là, tout y était, mais de buildings il n'en vit guère se dresser. Il attendit, il attendit et puis il se dit qu'un beau jour, Jo ferait le job. Au sortir de la guerre, ivre de Libération, il décida d'apprendre à ériger des immeubles, lui qui rêvait de ces bâtisseurs de Manhattans. 

Après les Mohawks, les Iroquois, pourquoi pas un jeune Chouan à la dégaine mi-maure, mi-irlandaise, après tout.

Après tout ? Dans sa folie, Jo était peut-être trop raisonnable. Il n'eut pas le courage d'un lointain ancêtre, plus lointain par le sang que par l'espace-temps qui, à la conscription de 1870, la première de l'histoire de France, embarqua clandestinement depuis le port de Bordeaux à bord du Bec d'Ambès sous l'identité d'une femme pour l'Australie et la Gold rush de Bendigo. Il fit souche dans cette ville anciennement appelée Sandhurst dans l’État de Victoria, où il se maria avec une jeune Galloise. De l'or, il en trouva plein. Il prospéra avant de connaître un fatal revers de fortune au tournant du siècle. Il se fit piller la diligence par un bandit de grand chemin et dut regretter le restant de ses jours les vertus de la bancarisation triomphante. Avoir un chercheur d'or dans le sang, voilà qui avait de quoi exciter l'imagination du jeune grand-père, entre questeur d'aventure et « exauceur » de rêves. 

Le terrien s'élèverait à défaut de s'expatrier. Il prendrait cette acception dans son sens premier et traverserait à sa manière l'océan en se faisant embaucher sur la base sanitaire américaine de La Roche-sur-Yon. Dès lors, son rêve outre-Atlantique ne le quitta plus, au-delà même de la fermeture de cette structure de l'Otan dans les années 1960 sous la pression du gouvernement français. C'était le temps des « US Go home ». La base fut taguée à maintes reprises, essuyant les sifflets des manifestants. Mon grand-père en éprouva un ressentiment croissant, quelque peu paradoxal, tant à l'encontre du général de Gaulle et sa politique anti-atlantiste qu'à celle des manifestants pacifistes d'extrême gauche. 

Atlantisme, pacifisme... Jo faisait face à deux océans contradictoires, la fermeture de la base venant le priver non seulement d'un travail, mais aussi d'un rêve. Autant dire que l'expatrié dans son enclave était prié de retourner à sa terre-patrie ou de franchir le pas, d'aller au bout de sa logique :

Go home...

(extrait Nora, Love, Harbor).

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