Daïk, chapitre 11
a loi de l’offre et de la demande est
symptomatique d’un manque
de courage intellectuel.
Il y a toujours assez de place pour tout le monde
dès lors que l'on fait de cette règle
une priorité. La loi de la rareté-fait-le-prix*
est révélatrice d’une tendance autodestructrice
puisque l’espèce humaine se sait prolifique
sur un espèce limité, borné.
Ne convient-il pas d’orchestrer les moyens
de développer les conditions d’épanouissement dans un espace infini ?
L’être humain a délaissé la recherche spatiale pour finaement privilégier
la quête de l'arme atomique se tournant résolument vers la discrimination
par la rareté et la guerre ! Choix absurde, malveillant. Suicidaire, une fois de plus.
Et une terrible perte de temps !
Fin de l’armement de la capsule. Daïk manœuvre le bras articulé
de l’astronef à quatre-vingt dix degrés de la planète autour de laquelle
il stationne.
Il entre en télépathie avec le vieux druide.
Le druide daigne lui répondre, mais décide finalmement de lui transmettre un flot
non codé de savoir intrinsèque.
L’enfant lui aurait bien posé quelques questions… mais peut-être est-ce mieux ainsi.
Collecter le savoir intrinsèque lui évitera de se faire repérer par ses parents. Daïk
se souvient avoir entendu parler d'un syndrome, en télépathie, appelé le syndrôme
de la balle au bond. Le principe ? L’intrusion d’un tiers entre
un interlocuteur émetteur et un interlocuteur récepteur peut créer ine entrée en
communication inopinée. Ce phénomène est rare, en télépathie. Mais la rareté,
dans un monde infiniment vaste, cela arrive tout le temps...
Quand les êtres humains auront compris cette maxime, peut-être en auront-ils
enfin terminé avec leur principe de la discrimination et leur loi de l’offre et de la demande !
Daïk ne prend pas le risque d’envoyer un rush au Druide pour se rappeler
à son bon souvenir. L’extradolescent filtre les informations brutes qui émanent
du druide qui, pendant ce temps, se laisse faire et continue de tailler ses végétaux...
Daïk rétro-projette les informations qui lui semblent les plus
pertinentes sur son média-terminal en prévision de l’effort de concentration que
va exiger la phase de navigation jusqu’au trou noir. Daïk n’a pas encore mis au point
sa trajectoire et bute toujours sur l’itinéraire intermédiaire une fois
qu’il aura franchi son trou noir, quelque part, entre univers II et IV.
Reste cette épineuse question : pourquoi l’homme n’est-il pas parvenu
à se libérer du joug de la guerre au sortir du conflit le plus meurtrier
et pourquoi n’a-t-il pas utilisé les pouvoirs de l’atome pour commencer
à préparer son avenir extra-terrestre ? A ce stade, une certitude : les premiers tirs
nucléaires se sont produits à la fin de la pire guerre entre humains et a ouvert
à une autre course technologique morbide. Le druide Ann Drouiz y parle de
« guerre mondiale », comme s’il lui dictait l’existence de deux conflits
majeurs, puis la visio holographique s’interrompt.
Bon… OK !, lâche Daïk en se massant les tempes. Le premier tir s’est produit dans une zone
du monde éloignée de cette guerre, les tirs n°2 et n°3 ont scellé le destin
de cette guerre sur l’archipel, mais la majeure partie du conflit s’est déroulée
dans une région très découpée et dangereuse, au bout du continent le plus vaste,
où se déroula la première guerre dite mondiale. OK. Daïk s’empresse de visualiser
les pics radioactifs sensibles émis par ces explosions nucléaires et dresse
aussitôt un constat : curieusement, aucune des explosions ne s’est déroulée
sur cette partie de la Terre. Surprenant ! De plus en plus surprenant ! Cette région
de la Terre aurait-elle renoncé à la guerre ? Ou n’y aurait-il plus de survivants ?
Pourquoi cette soudaine migration de la violence et de la destruction à
la surface de cette planète aux espèces si multiples et dangereuses ?
Tant pis. Daïk doit de nouveau entrer en contact avec Ann Drouiz.
Rush au druide !
Cette fois, ça marche !!!
Daïk se sent pris d’un vertige comme lorsqu’on bascule d’un espace-temps à un autre
(il n’a pas encore fabriqué sa combinaison à l’aide de l’imprimante 3D) :
Ruuuuuussssssssssshhhhhh.
-DDDaaaaaaïïïïk… ? Ô bel ennnnnffffffaant, que me veux-tuuuu?
-Ann Drouiz ! Mes hommages, ô druide. Je ne voulais pas vous déranger,
je me suis permis de collecter quelques informations précieuses contenues
dans vos ouvrages…
-Attends, je bouge. Ca capte mieux, là ? Oui, j’ai vu ça sur mon rapport
de fréquentation ! Tu croyais sortir de mon esprit sur la pointe des pieds,
mais j’ai tout vu, hi, hi ! Tu me parles de mes ouvrages parus
aux Editions de la forêt des Dépouilles !
-Excusez-moi, pardonnez-moi, ô druide.
-Dommage que tu n’aies pas l’âge de prendre l’apéro, mais ce n’est pas
grave, on va discuter un peu ! Attends juste un instant, je suis en plein collectage...
Je reviens, ne bouge pas, hein ? La vache noire à l’étoile blanche veut sortir
de la coque, la garce ! Hoooo !
-…
-Deux petites méta-secondes, hein !
-Oui, mon druide.
Une voix sourde, au loin :
-Ohhhhhôôôôôôô…. Ne sors pas de la coque et toi, Hu-Gadarn ! ICI !
Rhââ, cette vache sacrée est impossible à garder ! Saleté !
…
Chtoc !
!!!
Nouveau barouf de tous les diables, puis, essoufflé :
-C’est bon, je suis prêt. Je lui ai fait sa fête. Alors,
Bel enfant, que veux-tu que je te chante ?
-Eh bien… Je…
-Allons, tu ne m’as pas dérangé pour rien, ne fais pas ton timide ! Tu penses sérieusement
un instant que je me fiche du savoir des apprenants ? On ne me dérange jamais
dans mon champ.
-Vous… cultivez un champ magnétique… ?
-Non, pas un champ magnétique, non.
-Un champ d’astéroïde alors ?
-Non plus. Un champ de labour, de culture traditionnelle, avec des plantes
hallucinantes, toutes sortes de plantes qui prolifèrent à ma guise.
Tu sais qu’elles ont des vertus insoupçonnées en d’autres mondes ?
-Comme sur la Terre ?
-Exactement, l’enfant ! Je vois que tu comprends vite. Alors comme ça,
tu as déjà entendu parler des plantes et de leurs vertus ?
-Euh... je ne suis pas très fort en proto-botanique...
-C’est bien le problème avec vous autres qui ne croyez plus à mes théories,
vous vous intéressez à ce que vous croyez utile ! Ce n’est pas parce que nous
ignorons l’intérêt des plantes qu’il ne faut pas s’y intéresser.
Les Terriens en auront bien besoin un jour…
-Vous vous intéressez beaucoup aux Terriens aussi, n’est-ce pas, druide ?
-Ah. Je vois. C’est pour ça que tu m’as intercepté.
-Oui, enfin, c’est un peu plus compliqué que ça...
-Tu étais en train de puiser des informations sur la Terre, je le sais ! Je vois qu’il y a
une légère pellicule de rushs qui est retombée sur mes manuscrits terrestres.
Je peux te dire que c’est encore plus parlant qu’un banal rapport de fréquentation.
Je peux même te dire aussi que tu as tourné des pages, sans même le savoir.
Hé, hé ! Tu es entré dans mon esprit et je t’ai transbordé dans ma bibliothèque
terrestre en te désignant les ouvrages les plus intéressants…
Hé, hé, hi, hi, hi, ho, ho, ho ! J’adore faire ça.
-C’est vraiment ce qui s’est passé, druide, vous m’avez… redirigé ? La télépathie
peut faire ça ?
-Avec un peu de maîtrise, oui ! C’est comme les rétro-liens.
Ann Drouiz émet un petit rire de satisfaction. Le druide hydromelé bombe
le torse et plisse les yeux. Ah ça, il est plutôt content de lui.
Il poursuit :
-Non seulement on peut répondre aux questions, mais on peut aussi arracher
une partie de ses pensées et les transborder dans un lieu physique ou virtuel.
Donc, pour te dire, bien sûr que c’est possible. Tu as consulté des livres
anciens venue de la planète Terre. Et je peux te dire que nous les méconnaissons,
ces chers amis terriens, même moi tu sais. Nous les « archaïsons » volontiers.
Mais je peux te dire aussi que les ploucs de l’espace ont quelques qualités
tout de même : ils sont maîtres dans l’art de s’attaquer à plus fort qu’eux.
C’est un trait de caractère chez eux. Ils n’ont pas peur de pêcher par excès
d’orgueil. C’est parfois nécessaire pour avancer ; le problème, c’est qu’ils font
la guerre tout le temps. Leur entêtement permanent, leurs convictions dépassées,
leur méconnaissance phénoménale du cosmos… Sais-tu qu’à l’heure
où je te parle, enfin… bref, je ne devrais pas te le dire…
-Quoi donc ?
-Rien. Rien. Parle-moi plutôt de tes recherches.
-Eh bien, disons que je suis tombé par hasard sur un phénomène
très curieux, en observant la Terre depuis mon bocal…
-Tu fais ça, toi ? Oh, oh, oh !
-Oui, oui, confesse Daïk, en baissant la tête à distance.
-Tes parents ne t’ont pas interdit d’observer la Terre dans un bocal ?
De mieux en mieux !
-Ben…
-Eh bien moi je dis qu’ils te font bien confiance ! Ce n’est pas à proprement
parler de ton âge tout ça, et tu le sais, n’est-ce pas ?
-Je ne…
-Tsssst, allons l’enfant ! Je plaisaaaante. Hu, hu, hu ! Ne t’excuse pas d’être
un esprit curieux, va. Je ne suis pas ton père, après tout. Que veux-tu savoir ?
-J’ai observé la Terre aux environs de la 4,6 milliardième RT [RT pour Révolution terrestre,
une unité de standard de temps universellement adoptée dans le dos
des terriens. Il en est de même de certaines unités de mesure et du nom des constellations
en univers IV, NDLA].
-Houla, soit plus précis. Il s’est passé beaucoup de choses aux environs
de la 4,6 milliardième révolution terrestre. Tu me parles de l’âge d’or de la Terre,
vaste période ! L’âge d’or, l’âge adulte, l’âge de l’être humain. Tu me parles
de la période la plus féconde de cette planète, quand tout a basculé. Oh que oui,
beaucoup de choses se sont produites sur cette bonne vieille Terre... C’est que l’homme est
une drôle d’espèce...
-Très bien, je vais être plus précis. Je suis tombé sur la Terre à l’âge d’or atomique.
J’ai vu la surface du globe se consteller de poussées radioactives. Certaines visibles
depuis l’espace, d’autres décelées grâce au cache mesurant la radioactivité…
-Tu laisses tes caches sur tes bocaux, toi ?
-Oui, euh… toujours.
-Superposés ?
-Euh, oui, tous les caches sont superposés de sorte que je puisse ainsi non
seulement voir, mais mesurer les différentes strates d’information astrophysiques
et chimiques. J’aime bien laisser les caches. Est-ce que c’est mal ?
-Hum... Non, non, c’est assez disruptif... Je te trouve très curieux pour ton âge, c’est tout.
Tu travailles bien tes AAP, à ce que je vois.
-Oui, comme mes parents ne sont pas souvent à la maison,
j’ai beaucoup de temps pour ça.
-Tu n’as pas beaucoup d’amis ?
-Ils habitent à l’autre bout du système le plus proche, et encore... beaucoup ont
dû migrer avec leurs parents en univers III.
-Ah, l’éclatement des cellules familiales à cause du travail… Un grand classique.
Ce n’est pas un mode toujours très adapté pour les enfants tout ça… Je vois... Tu n’as pas
de druide attitré dans ton système ?
-Non.
-Tu ne reçois pas d’enseignement druidique ?
-Non plus.
-Et tu connais tes classiques métaphysiques et astronomiques... Eh bien, fils,
je te tire mon chapeau.
-C’est juste que j’ai envie d’apprendre, rougit Daïk. Il bombe un peu le torse,
quand même. J’ai soif d’en savoir plus sur cette planète, j’aime beaucoup les légendes
terriennes. Je trouve que ce sont les plus surprenantes d’entre toutes.
-Hum ! Les plus sulfureuses, aussi. Tu mets le doigt sur des savoirs maléfiques. La Terre,
c’est un monde très subversif, tu sais...
Daïk se sent soudain verdir de honte.
-Ne t’excuse pas, va. Je sais bien que c’est de ton âge !, reprend Ann Drouiz
qui part dans un éclat de rire caverneux nourri de postillons à l’hydromel. Ne zoome pas trop
quand même sur cette planète. Ils font de drôles de choses avec leurs… Bref, des choses
qu’on ne peut même plus concevoir, nous autres.
-Quel genre de choses ?
-Hummm ! Il éclate de rire. Des choses. Tu ne peux pas comprendre ! En principe,
tu ne pourras jamais comprendre. Non seulement ce n’est pas de ton âge,
mais je dirais même que ce n’est pas de ton espèce ! Mais passons, si tu
le veux bien ! Revenons plutôt à ta question. Tu as vu des explosions radioactives
à la surface de la Terre, soit. Quelles sortes d’explosions ? Sais-tu que la Terre
a été percutée par un astéroïde qui a soulevé un gigantesque nuage qui a
bouleversé le règne des espèces vivantes ?
-Non, je l’ignorais. Je n’ai rien vu de tel...
-Allons bon ! Tu as raté la première catastrophe majeure, pourtant ! Les formes
de vie intelligentes précédentes ont été balayées. Elles étaient encore plus
archaïques que les humains et étaient loin de maîtriser la cosmologie.
C’est la seule façon d’apprendre à survivre pourtant.
-Non, ces explosions étaient comment dire… le fruit de l’homme, groupées sur
quelques dizaines de RT locales successives. J’en ai compté deux mille cinquante-trois,
avec précision, sur les différents continents.
-Ah les continents... Je vais te citer un classique. Mon vieux pote Taliésin disait :
« La terre a cinq zones et se divise en trois parties : la première est l’Asie, la seconde
l’Afrique ; la troisième, l’Europe. » Bon, si Taliésin voyait juste sur le nombre de
zones, il se trompait pour le reste… Deux mille cinquante trois explosions
artificielles, tu dis ?
-C’est ça. Des explosions atomiques.
-Atomiques ? Par tous les astres !
-Une première en plein désert puis deux sur un archipel au large du continent
le plus vaste, puis d’innombrables en tous points, mais jamais là où
se tinrent les deux grandes guerres dites mondiales.
-Oui, je vois, exact. Tu as laissé de la poussière sur les livres d’Histoire des grandes
guerres terriennes. Je comprends mieux de quoi tu veux parler. Tu veux parler de
la découverte de l’atome et de son utilisation à des fins guerrières. Tu cherches
à voir ce que tu ne devrais pas voir, tu cherches à concevoir l’inconcevable.
Sais-tu que cela n’est pas la bonne manière de procéder ?
-Eh bien… non, pourquoi ?
-On n’aborde jamais le néant par le début. Le chant des Séries commence au
nombre douze et se termine par le nombre un. Pas de série pour le nombre
un... Tu t’intéresses aux aboutissements avant de comprendre le tenant. Tu t’intéresses
à ce que les druides terriens appelaient La Nécessité unique, Le Trépas, le père
de la Douleur : Heb rann, ar Red heb-ken ; Ankou, tad ann anken. Et ils ajoutaient :
Netra kent, netra ken. Rien avant, rien de plus. N’as-tu jamais entendu parler du chant
des Séries ?
-Si, un peu… C’est une très vieille légende oubliée…
-Ce n’est pas seulement une vieille légende oubliée. C’est une composante
méconnue mais essentielle de la pensée cosmologique et philosophique
de cette planète, transmise de génération en génération par voie orale.
Ah, comment t’expliquer… transmise de druides à l’enfant, vie terrestre
après vie terrestre, tu saisis ? Nous ne procédons pas ainsi, nous autres
esprits immortels. Nous ne transmettons pas le savoir comme une chaîne,
hantés par la peur de la mort, contraints de se penser immortels en recourant
à toutes sortes de mythologies, alors qu’on pressent bien que le cosmos
est un autre monde où le temps n’a pas nécessairement la même dimension.
Tu mets le doigt sur l’angoisse existentielle de ces êtres antérieurs aux grandes
découvertes méta-astronomiques. C’est la question du néant que tu me
poses là. Cette série d’explosions atomiques a trait précisément à l’apprentissage
par l’homme de nouvelles limites alors même qu’il ne maîtrise pas encore
l’espace...
-J’ai cru comprendre au cours de cette brève incursion dans vos livres
qu’il y a eu deux guerres dévastatrices et qu’elles se sont terminées
par des explosions nucléaires meurtrières, puis des centaines et des centaines
d’autres se sont succédé mais sans dommages directs sur l’homme. Et curieusement,
ces explosions ne se sont jamais produites sur la partie du monde
où se sont déroulées les principales batailles...
-Tu cherches à faire des ponts entre légendes et faits physiques, tu cherches
à confronter tes croyances à la réalité. Je vois. Tu grandis, l’enfant. Oui, tu
grandis. Hélas tu n’as pas eu la chance de bénéficier d’un enseignement druidique
complet, contrairement à d’autres. Tu as grandi avec ta curiosité et tes
questionnements débordants sans pouvoir bénéficier de la science des sages.
Tes questions sont immenses et tout azimut. Tu poses le problème en partant,
comme je te l’ai dit, du mauvais bout de la chaîne. Peux-tu simplement
comprendre ce qu’est une chaîne ? Un début, une fin, un ordre de compréhension
des choses. Pour comprendre le monde des humains, il faut cesser de penser dans l’absolu
comme un être immortel. Tu dois sans cesse garder à l’esprit que tout est à durée
déterminée dans ce monde. Tout !
-Je comprends...
-Je ne sais pas si tu comprends, il ne faut jamais proférer de telles
certitudes à tort et à travers. Que cherches-tu à comprendre à travers
ces explosions : qu’elles ont été causées par l’homme lui-même ? Cela, si
je m’abuse, tu l’as déjà compris. Oui, la première a eu lieu dans un désert
sur un continent de la taille d’une île gigantesque qui va d’un pôle à un autre.
Cette bande de terre s’appelle le continent américain. C’est sur ce continent
qu’eut lieu la première explosion atomique créée par l’homme. Et cela a été
fait pour s’entraîner, comme une répétition, dans le but prémédité de tuer
d’autres hommes au cours des deux tirs suivants sur l’archipel que l’on appelle
le Japon. Or, le peuple habitant cet archipel combattait contre le peuple situé
sur le continent américain, le premier était allié au peuple à l’origine de la guerre
la plus monstrueuse que la Terre ait jamais portée et se trouvait en Europe,
dans cette petite région du monde étroite, très découpée, où des civilisations
multiples ont prospéré, l’un des trois berceaux des légendes les plus innombrables
qui courent encore aujourd’hui jusque dans le cosmos. Les premiers créateurs
de l’arme atomique ont puni le peuple de l’archipel pour mettre un terme
à leur guerre et à leur soutien au peuple d’Europe soumis au pire monstre
de tous les temps. Ce peuple américain soutenait une bonne partie des peuples
agressés d’Europe, notamment ceux d’où sont partis ses premiers colons
(mais pas seulement). Or, cette nouvelle arme s’est avérée dévastatrice,
plus puissante que les vaisseaux archaïques utilisés jusqu’alors. Elle s’est
imposée au monde et d’autres peuples ont voulu la posséder pour s’en
servir de bouclier ou d’arme absolue et éviter ainsi qu’une telle guerre monstrueuse
ne se reproduise un jour. Puis, pendant des dizaines de dizaines de révolutions
terrestres, tous ces peuples armés de l’atome se sont comment dire... entraînés !
Ils ont tiré à blanc, sans cible militaire désignée, mais dans l’intention d’améliorer
leurs techniques et de montrer aux autres qu’ils sont les plus forts. Seulement,
ils ont mésestimés les effets de leurs milliers de tirs sur une aussi courte
période et cela a déstabilisé l’équilibre de la planète sans qu’ils ne s’en rendent
compte. C’est comme si, pour s’entraîner à la guerre, ils s’étaient
tiré des milliers de balles dans le pied !
-Vous voulez dire que les humains n’ont pas cherché à combattre, à détruire
le territoire de leurs ennemis, mais qu’ils ont détruit leur planète au bout
du compte ?
-Les humains font les choses à l’envers. Ils créent pour détruire avant d’utiliser
le fruit de leurs créations à des fins bénéfiques. De la même manière, ils
ont préféré utiliser leurs découvertes atomiques pour la guerre ou pour créer
de l’énergie radioactive générant des déchets résiduels ultra-toxiques. Et
seulement ensuite ils ont utilisé les propriétés du plutonium pour mouvoir
leurs vaisseaux spatiaux. Hélas, après avoir enfin décidé de voyager dans
l’espace et de découvrir d’autres planètes dans une logique long-termiste,
ils ont sévèrement réduit leurs investissements spatiaux, focalisant sur la
nécessité de produire toujours plus d’énergie à court terme. Ils sont devenus plus
schizophrènes que jamais, comme aurait dit un illustre expert dans la
science des défauts humains, un certain S. Freud.
-Un expert dans la science des défauts humains ?!
Daïk rit. L’extradolescent se dit qu’il est tout de même bien inconscient
d’aller flirter avec cette planète peuplée d’êtres aussi dangereux et maléfiques...
Il poursuit néanmoins, au comble de la curiosité :
-Mais comment se fait-il que tant de légendes proviennent de cette planète ?
Est-ce précisément parce qu’ils n’ont jamais fait les choses comme
tout le monde, qu’ils ont expérimenté le mal plus que n’importe qui ?
-En somme, ta question est la suivante : est-ce que la multiplicité des légendes
tiendrait à l’importance du fond historique maléfique. Auraient-elles prospéré
sur le substrat du mal. Eh bien oui, je pense qu’il y a un peu de ça. D’ailleurs,
cette science est devenue très puissante dans les révolutions qui ont suivi
cette période de guerres terrestres et atomiques. Mais cela tient avant tout
au fait que la discrimination par la rareté est devenue insoutenable.
Je crois que tu t’es aventuré de ce côté-là déjà. Tu fais des ponts, l’enfant,
et c’est une bonne chose. Mais le rapport des êtres mortels à la rareté
de leurs ressources est une composante essentielle, pour ne pas dire
déterminante, de tous leurs problèmes. Ils ont transmis de générations en
générations cette doctrine pernicieuse. Ils fondent toute leur organisation
sur ce précepte suicidaire, au lieu d’élargir leur horizon en colonisant d’autres
planètes du système solaire, ce qui s’avérera de toute façon inévitable s’ils
ne veulent pas disparaître un jour. Tant d’autres espèces vivantes ont compris
depuis longtemps cette nécessité de coloniser l’espace pour survivre aux astres
qui ne sont pas éternels. Tant d’espèces ont compris cela depuis la nuit des
temps et sont à ce titre bien plus évoluées ! La génétique et la maîtrise
de l’espace sont les deux sciences fondatrices de l’immortalité dans
la forme que nous connaissons tous ici. Seul le vide sidéral demeure une
menace pour nous, comme tu le sais. Et bien il faut imaginer cette espèce
de vie dotée d’une planète magnifique, merveilleusement belle et féconde -
parce que la Terre est l’un des plus beaux oasis qui soit - mais incapable pour
autant d’envisager sa pérennité autrement qu’en puisant ses dernières
ressources et en s’entre-tuant. C’est très regrettable.
-Ce sont des barbares !
-Des barbares infernaux qui vivraient dans un paradis pour reprendre
ces termes issues de vieilles légendes venues jusqu’à nous...
-Mais peux-ton les aider ? Ne convient-il pas de leur apprendre nos techniques
génétiques et astronomiques pour les sortir de leur « enfer » ?
Soudain, le druide adresse un puissant rush à l’enfant. La communication
menace de se rompre.
Daïk rappelle le druide, le supplie :
-Ô druide, druide, répondez-moi, ne m’abandonnez
pas à ce questionnement !
* PS : oui, je sais. J'expérimente la presse économique capitaliste.
Pour mieux comprendre de l'intérieur.