Daïk, chapitre 2 / ran niver Daouzek
DAOUZEK – 12 –
L’ENFANT.
Chante-moi la série du nombre douze, jusqu'à ce que je l'apprenne aujourd'hui.
LE DRUIDE.
— Il y a douze mois et douze signes ; l'avant-dernier, le Sagittaire, décoche sa flèche armée d'un dard.
Les douze signes sont en guerre.
La belle vache, la vache noire à l'étoile blanche au front, sort de la forêt des dépouilles ;
Dans la poitrine le dard de la flèche ; son sang coule ; elle beugle, tête levée ;
La trombe sonne : feu et tonnerre ; pluie et vent; tonnerre et feu ; rien ; plus rien ; rien, ni série !
ENDANT CE TEMPS, DAÏK SONGE
À L’ORIGINE du monde.
Aux théories du big-bang.
Il sait qu’il y a, dans l’infini né du chaos
nombre de civilisations
douées de conscience. Et qui
ne dit pas que l’être humain
soit l’invention d’une espèce
extra-terrestre férue de manipulations génétiques
l'observant depuis une autre dimension ?
Pour lui, l’être humain pourrait bien évoluer dans un bocal créé de toutes pièces
par une intelligence supérieure pour qui l’univers
serait de la taille d’une urne funéraire tenant dans une main.
Daïk s’imagine libérant une sorte de menthe religieuse affamée,
sortie d’un autre récipient. Ses pattes crochues sont sur le point de se poser
sur la surface de la Terre, prêtes à perforer la stratosphère. Avec un peu de chance,
l’irruption de l’insecte anéantira toute forme de vie avant même
que l’enfant n’ait le temps de jouer au Godzilla géant...
Une première patte s’enfonce comme si on enfonçait un jouet contondant
dans un ballon d’anniversaire. La peau se tend, résiste, puis… soudain…
une voix venue de l’au-delà s’élève et hurle :
-A TAAAAABLE !!! N’oublie pas que nous devons partir en campagne, nous sommes
déjà en retard !
C'est sa mère.
Et l’intelligence supérieure de renoncer à perforer l’atmosphère terrestre par peur
de se faire gronder.
Daïk range son Godzilla dans son bocal. L’enfant songe aux jouets minuscules
des êtres humains et s’étonne de leur caractère inanimé :
-Ça doit être d’un ennui ! Les pauvres ! Et dire qu’ils n’ont pas songé un seul instant
à donner vie à leurs playmobiles et autres barbies surannés…
Les enfants humains semblent dépourvus d’émotions et se contentent
de jouer avec des macchabés, voilà bien un marqueur d’une civilisation dépassée !
Daïk ne croit pas à la théorie de l’élève dépassant le maître. Ce n’est pas l’ordre des choses,
même s’il concède quelques idées de génie. Leur perfectionnisme guerrier
l’a toujours sidéré. L’invention de la bombe atomique, par exemple !
Daïk se souvient avec émotion avoir vu un jour la surface terrestre se consteller
de champignons miniatures comme des pets... Une analyse un peu plus fine du
phénomène lui permit de constater qu’il s’agissait en fait d’armes de guerre :
les êtres humains venaient d’inventer l’arme de destruction massive absolue...
A l’échelle de leur espace temps, les irruptions s’étaient déroulées
de façon assez espacées. D’abord, il y eut une multitude d’explosions depuis
un prototype tiré dans l’atmosphère. Un premier tir fut expérimenté en conditions réelles
dans une région désertique puis, à plusieurs reprises, sur des êtres humains entassés
sur un petit archipel très éloigné du premier impact en plein désert... Ces deux impacts
funestes se situaient au large cette fois de la zone la plus peuplée du monde terrestre.
Vu de l’espace, il y avait de quoi s’interroger sur le phénomène : les êtres humains
visaient-ils délibérément la zone la plus densément peuplée pour toucher le plus
de monde possible et si oui, pourquoi ?
Cela répondait-il à une autre tournure d’esprit, inconnue vue depuis l’extérieur,
comme lorsqu’on ne comprend pas les logiques d’une famille tant
qu’on n’en fait pas partie ?
Le jeune extradolescent en référa à ses parents qui étudièrent le phénomène
au moyen de capteurs posés sur le bocal. Ils en conclurent que l’intention
consistait bien à viser le groupe d’êtres humains vivant sur cette île.
De nouvelles explosions, plus petites mais bien plus nombreuses, secouèrent
une autre région du monde située à mi distance entre le premier tir atomique
et la deuxième salve. En clair, c’est comme si on avait d’abord pilonné une zone
avant de changer de secteur pour tester de nouvelles armes beaucoup plus puissantes
à l’autre bout du globe !
-Pourquoi ? Pour TUER ?
-Stop ! Tais-toi !
Ses parents ont toujours tu le mot tuer ainsi que le mot détruire, parce que cela
ne doit pas faire partie de leur vocabulaire. D’ailleurs, il est formellement interdit d’aller sur
cette planète de fous furieux.
L’incompréhension resta donc de mise. Pour ses parents, autant il était aisé d’identifier
les molécules et les processus chimiques à l’œuvre, autant la logique humaine
leur échappait totalement.
Ses parents s’empressèrent de le mettre en garde sur ce point :
-Chéri, les manipulations atomiques, c’est très dangereux ! Formellement interdit,
d’accord ? Tu ne joueras pas à ça pendant notre absence ! Tu attends sagement notre retour
de campagne, promis ?
-Oui, mamaaaan.
L’enfant en vint à la conclusion suivante : plus de deux mille cinquante explosions
atomiques avaient retenti sur la Terre, la plupart sous l’eau ou en sous-sol,
et tout de même cinq cents directement dans l’atmosphère. Un truc énorme
sur une échelle de temps aussi ridicule ! Sur ces deux mille cinquante explosions,
« seuls » les deuxièmes et troisièmes tirs (parce qu’il s’agissait bien de tirs) ciblèrent
des populations terrestres ! Daïk en retourna à son bocal en bougonnant :
-La planète Terre tourne autour d’une étoile d’une façon frénétique et constante,
comme c’est souvent le cas dans les systèmes solaires classiques. OK.
Si l’on décompose ces révolutions par un effet de ralentissement extrême,
on peut donc en conclure que ces deux mille cinquante-trois explosions
nucléaires se sont produites sur une période de l’ordre de cinquante révolutions
autour de l’étoile mère, alors que la planète existe depuis quatre milliards
et demi de révolutions ! Paaaapa, mamaaaannnn, j’ai besoin d’aide !!!
-Quoi encore, chéri ?
-J’ai un exercice de maths, là, et je ne suis pas très sûr de moi !
Oh, tiens, ça mord ! Papa-maman se prêtent illico au jeu des vérifications :
-Bon... Si c’est pour un exo de maths... Ben... Cinquante révolutions sur 4,6 milliards...
Oui, c’est bien... Tes calculs sont justes... Mais tu ne nous as pas écoutés !!! Tu arrêtes ça !!!
-Mais c’est grave !, s’emporte Daïk. Je crois que les êtres humains
sont devenus fous comme si le temps passant, ils s’étaient attelés à
l’expérimentation de nouvelles méthodes de saccage. (Il avait bien veillé à ne pas utiliser
le mot destruction formellement interdit). Pourquoi ces peuplades se comportent
comme des barbares ?
Gros yeux à facettes :
-Tu AR-RÊ-TES avec ça ! C’est compris ?
-Boh, pô juste !
Tout le repas suivant, le dernier avant que ses parents ne partent en campagne,
l’enfant bouda. Ses parents ne firent pas grand cas de ses turpitudes
et mirent ce peu d’entrain gustatif sur la teneur moléculaire du repas,
probablement déséquilibré à +-0,2 % près : trop pauvre en zinc, pas assez de fer,
trop de sucre, pas assez d’acides gras, jamais comme il faut, quoi ! Question d’habitude...
Bon, il mangera mieux dès lors qu’il aura percé le mystère.
Faudrait pas le connaître, le petit chéri...
*
Une légende prétend que les espèces connaissent toutes une période appelée
L’âge de l’enfant terrible.
Curieuse expression... Alors, si tel était le cas, l'âge terrible des humains allait s’accompagner
de bouleversements biochimiques altérant jusqu’à l’équilibre environnemental global.
Outre les radiations, les teneurs en dioxyde de carbone mais aussi en métaux lourds
promettaient de s’élever de façon immaîtrisable. Des capteurs pointaient déjà d’importantes
perforations de la stratosphère près des pôles...
Au moins, toutes ces questions avaient le mérite de lui éviter
de penser au départ imminent de ses parents. Puissent les humains se croire au bout
de la chaîne, seuls au monde ? Puissent-ils croire encore en un univers monoplan,
sans passerelles et linéaire depuis le big-bang originel ?
Et les trous noirs ?
Et l’antimatière ?
Pour la première fois de toute sa vie, l’enfant se senti borné.
Et il se dit que cela ne devait pas être une mince affaire que d’être
un simple mortel.
Daïk crut ainsi ressentir la peur de MOURIR. Ils ne se comporteraient pas de la sorte
si la mort n’existait pas. L’idée de tuer ne leur traverserait même pas l’esprit .
Non, tuer n’existerait pas, cela ne ferait pas partie de leur psyché.
Comment peut-on faire quelque chose que nous sommes incapables d’imaginer ?
L’enfant frémit à l’idée que la mort existe depuis qu’il a assisté à cette série
d’explosions atomiques. Deux ont fait mouche, il l’a vu tout de suite.
Il sait très bien pourquoi ses vieux n’ont pas insisté pour qu’il termine son repas :
un peu de télépathie, que diable ! Bien sûr qu’ils savaient pourquoi
il n’était pas dans son assiette. Mais ils ne pouvaient pas comprendre
qu’il avait compris que la mort existait pour d’autres et ce que pouvait
signifier le mot tuer, un terme méso-extraterrestre dont il avait
déjà entendu parler en laissant traîner ses oreilles indiscrètes dans les Sphères
pour adultes...
Aussi incroyable que cela puisse paraître, la vie n’avait pas toujours été éternelle.
Une mort avec rien avant, rien après, est-ce de cela dont voulaient parler les anciens ?
Le néant ?
Pour la première fois aussi, Daïk se surprit à redouter
sa séparation d’avec ses parents.
Une éternité allait s’annoncer...
-Tu es sage, hein ? Tu as tout ce qu’il faut à la maison. De toute façon nous serons
toujours là...
-Oui, bien sûûûûr.
-Tu n’hésites pas à nous envoyer un rush en cas de souci, d’accord, chéri ?
Après les recommandations d’usage, et sitôt la porte de la capsule refermée,
Daïk pleura.