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B u h e z  U r  V a l a f e n n

6 décembre 2017

Daïk, chapitre 30 - Ran niver daou

DAOU – 2 –

 

 

L’ENFANT.
—Chante-moi la série du nombre deux.

LE DRUIDE.
— Deux bœufs attelés à une coque ; ils tirent, ils vont expirer ; voyez la merveille !

 

lettre typo celtique D

ES PAS CLAQUENT DERRIERE LUI. DAÏK EST SURPRIS par une présence : un homme vient de sortir du troisième édifice, à côté des voitures estampillées « GB ». Il sort une petite tige de sa poche qu’il porte à sa bouche.

"Attention, présence de propylène glycol, glycérine végétale, alcool, oxygène, hydrogène !", songe l'extraterrestre.

L’individu est pris d’une quinte de toux et manque de s’étouffer avec ce qui apparaît être, en fait, un vapoteur d’un autre âge. Au nom des quatre univers ! La grande Loi est enfreinte par d’autres hommes que les derniers des béleks !

-Oh ! Da… Da… Darling !, couine le terrien britannique (mais Daïk ne le sait pas encore).

Il appelle les renforts ennemis avec son accent d’un autre monde à la barbe du repère vénète ! Daïk ne s’attendait pas à tomber sur un intrus si près du but. Il découvre le pot aux roses atomique terrestres, déjoue l’attention de ses parents, brave le formalisme dévot de sa cousine, entre en contact avec un ermite méprisé de tous qui lui dégotte des rushs de collecteurs et de bardes bretons, traverse les galaxies et les trous noirs, survit à des émanations hyper protéinées et lipidiquo-saturées, évite les tirs des armées de César de justesse, obtient la confiance de deux béleks égarés (et condamnés d’avance) qui lui révèlent la cache des onze derniers représentants dotés de pouvoir bardique. Il est à deux doigts de comprendre la signification du chant des Séries aux portes du royaume de Bel, et là, surgit un espion à la solde des anciens ennemis héréditaires des Bretons insulaires : un ANGLO-SAXON !

Daïk doit le faire taire sur le champ.

-Oh ! Darling ! Please believe me !, entonne-t-il, blanc comme la lune. Une femme à demi nue avec une chevelure de lionne plus large qu’une porte fermière surgit à son tour et prend le relais de son incantation démoniaque :

 

Oh ! Darling, please believe me

I’ll never do you no harm

Believe me when I tell you

I’ll never do you no harm…

 

Daïk s’attendait à tout sauf à cela ! Elle chante une conjuration ! Une chance qu’elle ne puisse passer la porte. L’homme au vapoteur s’emporte dans la langue des Grands bretons, lui révèle une rapide méta-recherche. Langue du reste aisément reconnaissable, parce qu’elle s’est imposée sur la Terre entière et est même inscrite au programme des AAP option langues anciennes exo-universelles. Cette Terrienne anglaise chante une incantation d’un célèbre quatuor d’anciens dieux de l’époque nucléaire - précisément ! - et c’est un signe qui ne trompe pas. Sa tenue est aussi étrange que les circonstances. Daïk est choqué de voir une Terrienne ainsi (dé)vêtue. Il en ressent une impression bizarre à l’entrejambe…

NON ???

ET SI !

Il ressent… ce que les anciens décrivent comme un artéfact de… pulsion sexuelle terrestre. Une grosseur invisible sourd au creux de sa combinaison, tandis que la femme aux seins nus fredonne sans vergogne, un verre à la main :

 

When you told me

You didn't need me anymoooooore

Well you know I nearly broke down and cried

When you told me

You didn't need me anymoooooore

Well you know I nearly broke down and died !

 

Et la sensation enfle comme une possession. Plus moyen de penser, d’anticiper la réaction de l’Anglo-saxon qui s’évertue, en vain, à taire le chant de l’ensorceleuse mélomaniaque. Comment croire une seconde de plus qu’il n’y a pas de sang humain qui coule dans les veines de Daïk, absolument sidéré par la révélation. Oui, cette humaine l’excite... Il vit ce que les adolescents potaches évoquaient en riant sous cape - et sous la combinaison - par artéfacts interposés dans des bocaux, sitôt que les parents avaient le dos tourné, à quelques années-lumière de distance. Et il se dit même que telle était la raison pour laquelle l’école collective fut supprimée un jour et remplacée par des formations à distance, en isolant chacun des adolescents sur des lunes ou des astéroïdes distinctes et en jurant les grands Dieux que cela faisait partie du cheminement méta-logique ! Non de non, un conditionnement de plus ! Un terrible conditionnement aux limites de la folie et de la contre-nature. Et voilà qu’il se souvient de ces allusions potaches, comme passées au travers des contrôles parentaux.

Ils appelaient ça des EXSI pour Expériences de sexe imminentes (Near sex experience*).

Le premier grand frisson de l’adolescence...

Daïk touche son entrejambe et songe à ce qu’il a longtemps ressenti, avant de se faire une raison, de chasser pour de bon cette intuition subversive : il a longtemps ressenti ce qui se rapproche de la sensation d’un membre fantôme amputé ! Exactement !

Mais c’est grave ! Haaan, un membre fantôme !

Oui, l’impression qu’un organe ou un appendice amputé, s'avérant toujours relié au corps et interagit avec d'autres parties. Presque aussitôt après la perte d'un membre, les patients ressentent de tels fantômes. La fréquence d'occurrence augmente d'autant plus si la perte est due à un traumatisme fort ou s'il existait une douleur pré-amputatoire, que s'il s'agit d'une amputation chirurgicale d'un membre non douloureux. Il a longtemps ressenti un manque.**

C’est un nouveau choc que reçoit Daïk en pleine figure : toute ette histoire de reproduction asexuée et génétique est une imposture ! Daïk est sans doute le produit d’une éprouvette, mais de là à découvrir que ses damnés d’aïeux ont retiré ses organes reproducteurs…

Daïk frise l’apoplexie : car il vient de découvrir le véritable secret de la grande Loi.

 

Bouleversé, l’extradolescent palpe l’entrejambe et retient, à la seule pensée d’une telle opération, un cri, une sorte de glapissement jacksonien.

Oui, avec certitude, il peut l'affirmer : les humains sont bien ses ancêtres.

Il n’est pas un être asexué. Il ne ressentirait pas de tel membre fantôme s’il n’était passé un jour sur une table d’opération.

Quel choc…

Les jambes coupées, sidéré par toutes ces découvertes terrifiantes, Daïk ne voit pas le couple britannique en alerte s’approcher de lui. Bob tient une guitare électrique à la main pour le frapper de toutes ses forces. Une Gretsch, man, comme celle de George Harrisson ou d’Eddie Cochran ! 

Mais Daïk ne s’y connaît pas en guitares terrestres et n’y voit qu’une dangereuse arme de guerre. Quand il revient à lui, la femme a enfin daigné se couvrir la poitrine avec un chandail façon gypsie. L’extradolescent rampe, mord la poussière et l’herbe fraîche, tandis que l’ombre de Robert Smith se fait plus menaçante que jamais.

Sans se poser de questions, Daïk s’enfonce dans les profondeurs du jardin, traverse le faisceau de lumière créé par la lampe halogène à déclencheur de mouvement qui est fixée sur la façade de la longère des Bellec. Il se sait désormais traqué.

Le piège terrestre se referme sur lui et pourrait bien l’enterrer à jamais... avec son secret.

-Here ! Darling ! Look at him ! He’s scaring !, crie l'Anglais.

Daïk se prend les jambes dans d’étranges korrigans minuscules. Il écrase une caricature extraterrestre en trois dimensions toute bleue avec un bonnet phrygien blanc sur la tête. Il y a aussi de petits humains miniatures (et sans sexe, est-ce prémonitoire ?) qui jonchent une vaste étendue sablonneuse. L’extradolescent marche dans le sable comme s’il était à la plage. Il y a aussi des vestiges en tous genres : constructions anarchiques, ponts, tipis, totems… Même lui a l’impression d’être un géant au milieu de toutes ces reliques improbables.

Et là, tout à coup, il comprend à qui il a affaire ici : il est entré dans le royaume de Bel.

L’enfant est là, devant lui, sérieux comme un pape, fier comme un Dieu au milieu de sa création et de son armée de sujets. Le Bel enfant est un peu plus grand que lui, il porte des lunettes rondes et défend l’entrée d’un château cerné de douves humides comme s’il s’agissait d’une antichambre vers le pays des druides.

-Aide-moi ! Au secours ! Bel enfant ! Tu nous dois la vérité !

Mais c’est trop tard. L’Anglais fait irruption et hurle :

-NATHAN, FAIS ATTENTION ! IL Y A UNE… UN EXTRATERRESTRE ! THERE !

Surpris, le Bel enfant relève la tête, écarquille les yeux. Il n’a pas le temps d’ouvrir la bouche ni de proférer le moindre son que Daïk bondit comme l’éclair. Plutôt que de rester exposé à la lumière du projecteur qui trahirait plus longtemps sa présence, il rampe jusqu’aux ténèbres…

L’Anglais ajuste sa guitare comme un club de golf et frappe un grand coup.

Mais se trompe de cible !

 

_____________________________

*Expérience de sexe imminente (EXSI) est une expression désignant un ensemble de « visions » et de « sensations ». Ces expériences correspondent à une caractérisation récurrente et spécifique contenant notamment : la décorporation, la vision complète de sa propre sexualité, la rencontre avec des entités sexuelles, la vision d’une lumière, un sentiment d'amour infini, de paix et de tranquillité, l'impression d'une expérience ineffable et d’union avec des principes divins ou supranormaux. Cependant, rares sont les EXI qui associent tous ces éléments. Plusieurs patients ayant vécu cette expérience en infèrent la possibilité pour la conscience de survivre, au moins quelque temps, à la petite mort physique. Les neuroscientifiques constatent pour leur part dans ce phénomène une altération de la conscience cérébrale où elles reconnaissent des mécanismes physiologiques largement étudiés. Quelques neuroscientifiques se penchent cependant à tout hasard sur les hypothèses envisageant l'existence d'une conscience indépendamment de l'activité sexuelle. D'autres expressions sont parfois utilisées, comme « expérience aux frontières de la petite mort », « expérience de petite mort approchée » (EPMA) ou, plus trivialement, d’expérience de MVADDAL » (« Maman-va-avoir-des-draps-à-laver »).

 

**Bien que les fantômes soient la plupart du temps rapportés après amputation de la main ou de la jambe, il a déjà été observé dans des cas d'amputation du sein, sur des parties du visage, avec une possibilité que seules les liaisons des composants du système nerveux aient été coupées sans autre ablationou même quelquefois pour les viscères ou les organes génitaux.

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4 décembre 2017

D'où viennent les Bretons : nom de code R1b L21

 

haplogroups L21

 

A mesure que la recherche génétique progresse, émergent de nouvelles cartographies des haplogroups les plus représentés à travers le monde. Ainsi en est-il du tronc commun entre Bretons insulaires et Bretons continentaux qui apparaît nettement au travers d'un sous groupe d'haplogroupe baptisé R1b L21.

Si vous effectuez des tests génétiques et que vous trouvez trace de ce nom de code, alors vos ancêtres sont typiquement des celtes insulaires et de l'Ouest de l'Europe (celtes atlantiques).

En Bretagne, 40 à 50 % de la population qui a effectué ces tests détient le marqueur R1b L21. La proportion est de 55 à 70 % en Irlande, de 50 % dans l'ouest de l'Ecosse, de 40 à 50 % au pays de Galles ou encore de 30 % en Cornouailles britannique... Des sous-sous groupes s'avèrent typiquement "R1b L21" comme les Vénètes et leurs descendants du sud de l'Armorique. J'invite en l'occurrence à consulter l'inventaire à la Prévert publié sur wikipédia qui lie notamment celtes insulaires et ménapiens (actuelle Belgique).

 

df 27 l21

 

Des cartographies comparatives (comme ci-dessus) permettent d'identifier ces grands couloirs de migration. Ils recoupent souvent la géographie des ères linguistiques : c'est vrai de l'Europe du sud où un continuum se dessine entre la péninsule ibérique et le sud de la France, dans une vaste zone romane, certes, mais où l'ancrage celte et/ou celtibère est aussi présent. Clin d'oeil à l'actualité, on notera que, selon les cartes, le patrimoine héréditaire des Catalans semble tantôt lié à celui des voisins français (plus que d'avec le reste de l'Espagne) alors que d'autres critères de comparaison rapprochent à l'inverse Franças et Espagnols. On mesure la complexité de l'exercice et à quel point il est difficile - et vain - de tirer de grandes conclusions ethniques.

En l'occurrence, la première map ci-dessus cartographie les sous groupes d'haplogroups les plus fréquemment rencontrés, tandis que la seconde carte compare deux haplogroups très présents en Europe de l'Ouest : R1b L21 (celtique) et R1b DF 27 (branche gasconne et ibérique de l'âge de bronze atlantique)*. Le sous-groupe R1b U152 (nord de l'Italie, Alpes - italic p-celtic) remonte à l'âge de bronze moyen : il est italo-celtique, c'est le marqueur typiquement des gallo-romains, à ne pas confondre avec les celtes insulaires britanniques. Il s'agit parfois de peuples celtes inféodés et déplacés par les Romains apparentés, quant à eux, aux haplogroups J2, G2a (et partiellement R1b U152 puisqu'on estime que le sous-groupe U152 a splité entre proto celtes et proto italics) et dont le foyer se trouve plus au sud, dans le centre et le sud de la péninsule italienne. Le sous groupe U 152 s'est largement diffusé dans toute la Gaule romaine.

Plus au nord, les chevauchements entre l'ère celtique (L21) d'un côté, et l'ère germanique (U106) de l'autre, traduisent d'autres nombreuses réalités historiques :  les germaniques U106 se sont mélés aux haplogroups scandinaves I, plus anciennement implanté en Europe du nord et mieux adapté à l'ère de la glaciation.

On retrouve le marqueur des haplogroups U106 dans les invasions vikings (raids), lors de la colonisation de la Normandie par les vikings, constitution du royaume anglo-normand. A noter que 20 % des Islandais possèdent un haplogroup celte L21 qui remonte aux raids des années 800 organisés par les Vikings en Ecosse et en Irlande du Nord : ils organisèrent de nombreux rapts de femmes en Irlande et jusqu'en Bretagne armoricaine pour servir d'épouses, de concubines ou d'esclaves...

Autant d'événements historiques que les tests génétiques révèlent eux aussi un peu plus chaque jour, à mesure que se constituent les banques de données haplogroups.

___________________

 *Il semble que l'haplogroupe R1 soit originaire de l'Altaï dans lequel R1a et R1b se seraient scindé il y a 20.000 ou 16.000 ans. Il y a 12.000 à 8.000 ans environ, une population dont l'haplogroupe principal est R1a, aurait migré et serait arrivée au nord de la Russie Européenne, au nord de la zone steppique. Au même moment, une population dont l'haplogroupe principal est R1b, aurait migré à son tour vers l'ouest, et serait arrivé dans les steppes. Plusieurs millénaires plus tard ces populations, après avoir été néolithisées, auraient formé les premières cultures Kourganes. Selon la théorie Indo-Européenne des Kourganes, ce peuple dont l'haplogroupe majoritaire est R1b, serait donc porteur de la culture proto Indo-Européenne. Il existe cependant une thèse différente sur l'origine des haplogroupes R1a et R1b. Ainsi, Maciamo sur le site Eupedia pense que l'origine de l'haplogroupe R1b se situe en Asie centrale entre la Mer Caspienne et l'Hindou Kuch. Jean Manco sur son site sur le peuplement de l'Europe, pense que l'origine de R1a est dans les steppes entre la Volga et l'Oural, et que l'origine de R1b est au sud de la mer Caspienne. (extrait du site http://bsecher.pagesperso-orange.fr/Genetique_R1b.htm).

 

4 décembre 2017

Joie simple / Levenez plaen

erdeven kerzerho 1

 

erdeven kerzerho 3

erdeven kerzerho 4

erdeven kerzerho 2

3 décembre 2017

Sport d'hiver breton à la station Kerhillio 0

 

 

L'hiver, en Bretagne, y'a quand même moyen de faire du sport à la plage.

Et je ne parle pas que du kitesurf.

Tenez, toujours à Erdeven, Il y a aussi des sports nautiques à Kerminihy, la plage d'à côté.

Souvenez-vous du TK Bremen et ses figures de haute voltige...

 

tk bremen 1

 

 

20 novembre 2017

Daïk, chapitre 29 / Ran niver tri

 

TRI -3-

 

 

L’ENFANT.
—Chante-moi la série du nombre trois.

 

LE DRUIDE.
— Il y a trois parties dans le monde : trois commencements et trois fins, pour l'homme comme pour le chêne.

Trois royaumes de Merlin, pleins de fruits d'or, de fleurs brillantes, de petits enfants qui rient...

 

 

 

lettre typo celtique L

ES TROIS VIES ET LES TROIS MORTS de l’homme correspondent aux trois sphères de l’existence de la mythologie bardique. « Je suis né trois fois », disait Taliésin. En prêtant la même destinée à l’homme et au chêne, le chant des Séries entendrait plutôt parler des druides, dont cet arbre était le symbole. Le témoignage de Taliésin viendrait encore à l’appui de cette opinion : « Chêne est mon nom », disait-il. Les trois royaumes de Merlin paraissent correspondre avec la troisième sphère mythologique des traditions galloises, celle de la Béatitude. Le Merlin, auquel sont soumis les trois royaumes célestes dont il est ici question n’est ni le barde guerrier ni le devin de ce nom. Il est difficile de ne pas voir en lui une divinité celtique...

-Merci, Ann Drouiz.

-De rien, je ne fais que te répéter les propos de Kervarker. Et désolé de t’avoir dérangé… Ils sont partis ?

-Oui, leur char de feu est sitôt reparti. Je ne sais pas si je dois me méfier d’eux. Quelque chose me dit qu’ils ont des soupçons !

-Tu soupçonnes des soupçons… Tu ne les crois pas sincères dans leur action ?

-Je n’en sais rien.

-Bonne chance en tout cas, Daïk. Tu sais ce que je pense de cette folie…

Fin du rush.

 

Daïk est seul et la pluie commence à tomber. Le vent se lève. Un chant nasillard s’élève à l’instant même où il approche de la grande maison de pierre. Une voix de barde. Seigneur ! Tout est si conforme, si parfait… Ann Drouiz, comment sais-tu ? Es-tu déjà venu enfreindre la grande Loi ? Daïk ne serait pas vraiment surpris et, pour tout dire, ceci expliquerait même la mise à l’écart d’Ann Drouiz l’excommunié.

Daïk approche d’une fenêtre, tout près de l’épais mur de granit qui ne semble plus en mesure de contenir la puissance de la voix sacrée. L’extradolescent entraperçoit à présent des lumières qui clignotent à l’intérieur de l’édifice. De toutes petites lumières semblables à celles émises par l’écran, à bord du char à feu, qui donnait la direction de leur itinéraire terrestre. Cette fois, il ne s’agit pas de cartes, mais d’images qui défilent de haut en bas.

Au bout de l’écran, la main d’une femme. Absorbée, magnanime, elle contemple l’image en deux dimensions. Daïk est sous le charme. Cette Terrienne est semblable à une fée étudiant l’alchimie de la paix et de la beauté universelle ! Il n’en a jamais vu de semblable de toute sa vie éternelle ! Même Rozenn lui semble commune en comparaison, du fait de sa combinaison qui lui donne un air de déjà vu… Mais cette femme, en revanche… Elle porte une large chemisette de princesse telle qu’on en voit dans les imageries légendaires, dans toutes ces iconographies interdites, licencieuses. Le haut des seins se devine. Sa respiration est semblable à celle des grandes reines dans leurs corsets frémissants. Daïk en tomberait amoureux s’il n’y avait la barrière de l’espèce et de l’âge.

Et ce parfum d’inceste par-delà l’espace-temps…

L’extradolescent veut bien croire aux mythes officieux et ancestraux, à la théorie des origines terrestres. Après tout, comment est-il lui-même sous sa combinaison ? Daïk l’ignore, puisqu’il est formellement interdit de la retirer sous peine de mourir d’asphyxie comme jeté dans le vide sidéral ! N’est-ce pas là la marque du conditionnement ? La Loi tout d’abord, et maintenant ce soupçon… Daïk doute de la prétendue liberté de penser - et d’action - de sa propre civilisation. Ce qui lui semblait naturel apparaît soudain suspect. De la même manière, et si l’immortalité n’était qu’un mythe ? Un conditionnement de plus ?

De tout temps, dans toute civilisation, défier le conditionnement ambiant a toujours été LE péché mortel par excellence. Il fut religieux chez les humains, avant de devenir politique, puis économique. Qui refusait de croire aux divinités en vigueur était passible de la mort. Qui refusait de se soumettre à l’idéologie du régime politique était passible de la mort. Qui s’extrayait au modèle économique dominant était passible de la mort. Encore et toujours, la mort ! A chaque civilisation, à chaque ère, ses effets de seuil, par pure contingence. A chaque fois, l’arbitraire contingence fait sa Loi. Il en est ainsi de ces humains comme des peuples de l’univers II qui obéissent aux commandements de leurs aînés : tu ne te reproduiras pas, tu te soumettras aux technologies, tu n’excaveras pas les reliques des civilisations antérieures mais tu t’évertueras, en revanche, à toujours regarder loin devant toi pour ne surtout pas te rendre compte de comment c’était avant...

Il en est de même en ce début du XXIe siècle sur Terre où un mal bien particulier ronge l’espèce humaine. On l’appelle communément le stress. Le stress colonise les organismes humains qui sont persuadés d’être responsables individuellement de cette tension intérieure. Ils ont beau consulté toutes sortes de pseudo-druides modernes férus des dernières thérapies, ils ne trouvent jamais le repos. Las ! Et pour cause, c’est simplement qu’ils sont gagnés par la nouvelle Loi ! La nouvelle contingence économique et technologique qui a pris insidieusement le pouvoir et pense à leur place, décide de leur chemin de vie sans qu’ils n’aient plus conscience de l’extraordinaire déclin spirituel et culturel qui a pris possession de leur âme tel un vautour avide tournoyant au-dessus de leur condition amoindrie... L’heure est venue d’entrer dans une nouvelle dictature, le monde démocratique ancien a été vidé de sa substance sans que personne ne s’en insurge. Le mal est fait et triomphe sur les esprits ravagés de désirs inassouvis tandis que les mémoires collectives s’appauvrissent et que la soif de l’autre s’assèche, que de nouvelles tours et de nouvelles murailles s’érigent autour des femmes et des hommes et qu’ils deviennent des machines inféodées jusqu’à la moelle. Les êtres du XXIe siècle ne perçoivent déjà plus le trouble au-dessus de leur tête, un trouble schizophrène induit par la nouvelle déforestation.

La nouvelle dévastation.

Parce que la technologie règne en maître sur leurs désirs. Plus leur œuvre quotidienne est spoliée par de nouvelles organisations et plus les anciennes, incapables de solutions, se chargent de vous culpabiliser. Elles vous traitent d’incapables, parce qu’après tout, tel est leur ultime pouvoir.

La manipulation.

La maltraitance.

Les organisations dépassées serinent que vous travaillez mal, ou trop peu, alors qu’elles se sont rendues complices d’un vaste hold-up. Les complices d’un braquage mortifère, celui de vos compétences, de vos savoirs. Et voilà qu’elles ont le culot de venir vous reprochez de vouloir rester debout alors que ce sont elles qui sont mortes ! De la même manière, Daïk s’interroge sur sa propre enveloppe. Est-il réellement le fruit de la nature puisque la technologie s’est déjà suppléée à son essence même ? Tels les hommes du XXIe siècle qui se sont soumis à une nouvelle contingence, les êtres de son espèce s’en sont remis à la manipulation génétique au point de supprimer tout pouvoir reproducteur.

Dès lors, tout est rendu possible.

Tout peut être travesti.

Ses pensées.

Son apparence.

Son propre post-ADN.

Daïk est sous le choc.

Il ne sait plus qui il est.

Qui observe-t-il à cet instant ? Qui a-t-il envie d’être ou de devenir ? Il ne sait pas d’où il vient. Il ne sait pas où il va, et cela lui apparaît clairement en observant les humains sur Terre. La Toshiba vomit le chant du druide. Penez Drigent hurle à la mort. Telle une muse aussi inspirée qu’inspirante, Koupaïa s’instruit sur la chirurgie esthétique et se rassure sur ses méfaits.

Joss, lui, regarde par la fenêtre sans soupçonner la présence à cet instant d’un extradolescent venu trouver des réponses à ses questionnements existentiels.

Et Nathan joue dans le jardin, ignorant qu’un extraterrestre a décidé d’entamer une nouvelle vie et de refaire le monde.

 

Telles sont les trois vies et les trois morts de l’homme. Ce que fut l’esprit des druides et du Bel enfant. Ce que l’humanité devint avec l’avènement des technologies intrusives. Ce qu’elle sera, demain, après la procréation artificielle et l’abandon de sa planète matricielle...

 

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15 novembre 2017

Daïk, chapitre 28 / Ran niver pevar

 

PEVAR -4-

 

 

L’ENFANT.
—Chante-moi la série du nombre quatre.

LE DRUIDE.
—Quatre pierres à aiguiser, pierres à aiguiser de Merlin, qui aiguisent les épées des braves.

 

 

lettre typo celtique E

T DIRE QUE JOSS EST DE RETOUR A LA MAISON :

-Et t’as le bonjour de Bob.

-Qu’il aille au diable. Mais c’est sympa de sa part !

-Et ton père m’a dit de te dire qu’il acheté un dictionnaire français-breton…

-Il aurait pu acheter une méthode, aussi.

-Je vois que tu vas beaucoup mieux... Mais tu exagères : mesure l’effort accompli !

-Oui, je le mesure, c’est ce que je viens de dire… (Silence). Chérie ?

-Oui.

-Merci.

-…

-Non, vraiment. Je n’ai pas toujours été très agréable, ces temps-ci. Je suis désolé.

Et encore, si elle savait. Son rêve électrique et sadomasochiste a fait office de révélateur, aiguisant son esprit perturbé sur l’ampleur du déballage intérieur qui menaçait en lui comme un déménagement breton. Depuis, il se sent apaisé. Un portique mental vient de sauter.

Koupaïa ne méritait pas tout cela.

-Et excuse-moi pour la radio.

-De rien, Joss.

-Si, j’ai déconné.

-Les médecins n’auraient pas dit que tu pétais le feu, j’aurais mis ça sur le compte du contrecoup.

-Tu vois, je n’ai pas d’excuses.

-Non.

-Comment vont nos voisins anglais d’en face ?

-Kate va se faire opérer d’un cancer du sein.

-Quoi ?

-Non, je plaisante. (Koupaïa aiguise un sourire perfide. Perfide et sans complaisance pour son diable de mari). Ca te ferait trop mal, hein ?

-Non, pas du tout. N’importe quoi ! (Silence). Et Tania, comment va la petite ?

-Ah quand même, enfin ! Eh bien elle s’endort d’épuisement quand l’heure de la sieste est finie. La dernière campagne d’exercices aériens l’a encore déphasée. Je retrouve la chambre sans dessus dessous parce qu’elle s’amuse à jouer aux quilles en attrapant ses peluches (bien que j’ai fini par les mettre au pied de son lit derrière les barreaux) et en les jetant sur les étagères. Tu sais qu’elle a réduit en pièces sa tirelire de cochon, ce qui devait arriver, et illustre le fait que ce truc n’est pas de son âge…

-Attends, une tirelire. Il n’est jamais trop tôt pour anticiper.

-T’es pire qu’un comptable ou qu’un banquier, Joss, ça vire à l’obsession.

-Je bosse dans le privé.

Koupaïa sourit. Lui pense : je-bosse-dans-le-privé-le-plus-underground. Statut professionnel : pas de statut. Et ce n’est même pas du travail illicite, c’est du free-style. Il bricole et il loue. Il ne fait plus rien d’autre, mais il a un avis sur tout. Le couple gère, tant bien que mal, les effets secondaires de sa radiation sauvage reçue par mail, genre lâche doigt d’honneur. Ce régime a trop tiré à boulet rouge sur son peuple. Pourquoi encore défendre la conservation du système si ce n’est que pour organiser un parcours du combattant avec ses chausse-trappes, ses seuils planchers qui excluent le plus grand nombre, ses radiations punitives qui sanctionnent les plus modestes ? Joss a appliqué à la lettre tous les préceptes qu’on lui a inculqué : exigences éducatives, valeurs républicaines, participation à la vie associative, respect de l’environnement, travail autant que possible, quand il y en a, déclaration des revenus sans chercher à gratter, alors qu’on ouvre des autoroutes fiscales à coup de niches et que le dumping prospère dans des pays prétendument frères. Il sait bien que c’est pas glorieux de parler de ses difficultés matérielles, le problème à un moment donné, c’est que ça arrange trop les politiques qu’on ferme sa gueule par pudeur ou par une sorte de fierté qui est sur un plan individuel défendable, OK, on a son honneur, mais qui devient collectivement mal placée. Il est sûr que cela hérisse le poil à bon nombre de gens de dire ça. Mais pourquoi cette amnésie, ce silence ? Toutes les générations doivent savoir ce qui se passe aujourd’hui. Il faut en finir avec cette omerta bien commode. Alors, oui, il exulte, il enrage, et oui, Koupaïa sourit. Mais ce sourire est cassant comme la glace, entre pitié pour son mari et tristesse pour ce qu’il est devenu.

Un mort vivant en France.

                                                                                 

 

-Ann Drouiz ! Ann Drouiz, es-tu là ? Ann Drouiz !

Daïk a trouvé un refuge de fortune, une sorte de terrier au pied de la dune à fourrés. Allongé, face contre sable, il est comme un militaire en campagne avec son poste de TSF. L’extradolescent télépathe de toutes ses forces, mais la stratosphère ennuagée rend l’exercice difficile.

-Ann Drouiz !

Rien à faire.

A la tombée de la nuit, Daik décide de sortir de son terrier. Il s’élance parmi une flopée de lapins qui sortent à la fraîche coloniser dunes vives et bordures de route, c’est une véritable invasion. L’extradolescent se mêle à la population de cette espèce de dégénérés : de ce qu’il voit, ce sont de purs obsédés à l’intelligence sporadique mais dotés d’un flair se rapprochant de celui d’une peuplade de l’univers II appelée les Polons.

Les Polons, s’il peut se permettre cette petite digression, sont des êtres peu portés sur la méta-connaissance mais capables de détecter du radon rouge-orangé cent ou deux cent mètres sous terre. Leur flair radioactif est hérité d’une longue et douloureuse adaptation à leur milieu naturel : ils vivent sur une planète qui est pilonnée en permanence par des fragments d’astéroïdes.

Et de fait, leurs eaux météoritiques sont très riches en radon. Ce peuple le traite en même temps que le propane, dont le point d’ébullition est identique, et qu’ils extraient donc de leur planète. Ce sont de purs planéterriens, il ne faut pas leur parler conquête spatiale. Leur truc, c’est de gagner leur vie avec la conquête spatiale des autres : ils transforment le radon en polonium dans d’immenses serres à désintégration alpha. Ce sont d’ailleurs les plus gros producteurs de polonium de toute la galaxie et les maîtres incontestés des applications antistatiques : fabrication de cellules, contrôle de piles, élimination de l’électricité statique ou des blocages liés à l’électricité statique, prévention de l’adhérence… leurs savoir-faire sont précieux, surtout dans l’industrie du transport spatial universel...

Tout ça pour dire que Daïk se sent comme un Polon dans sa mine, à des années lumière de son environnement de référence. Les dunes sont immenses. Plus il marche, et plus la végétation se densifie. Au fil de ses pas, elle s’avère plus haute que près de l’océan, au-dessus duquel les combats ont semble-t-il cessé peu avant la tombée de la nuit.

Daïk est au bord de l’épuisement. Ses muscles ne peuvent pas se régénérer par la nourriture comme pour les humains. Chez lui, la créatine s’auto-génère sans accroître sa masse musculaire. Les mauvaises langues prétendent que son espèce n’a plus d’organes reproducteurs et que foie, pancréas et reins sont surdéveloppés. N’importe quoi ! Les Polons, par exemple, les surnomment « les sans-boules » ! Tu parles, eux, se gavent d’Xtra Builder pour doper leur musculature de mineur de fond ! Déjà qu’ils sont irradiés en permanence… Résultat des courses : ces êtres sont mortels comme les humains.

On ne peut pas avoir la matière grasse et l’argent de la matière grasse.

Ces gros bras vitreux avec des muscles comme des baudruches transparentes dont on peut voir la circulation interne en temps réel désignent les Terriens par le terme d’« Astragales », en référence au genre végétal le plus important chez les spermaphytes (décidément, personne ne le fait plus, mais tout le monde en parle)...

Tout cela pour dire surtout que Daïk se rend compte que sa synthèse endogène est à la peine. L’épuisement le guette. Il rêve de s’allonger face à l’espace derrière sa coupole dans un transat moelleux à souhait avec une petite musique astrale d’ambiance comme le chant des comètes créé par l’oscillation des chants magnétiques, par exemple. Les sons saturés sur terre l’ont contraint à adapter son convertisseur de fréquence intégré, un module fort pratique lors des voyages longue distance, qu’il est vivement recommandé d’acquérir dans votre astronauterie préférée Ha, ha.

Il se connecte au cortex par une prise ventouse (existe en version peau lisse, peau visqueuse ou peau à forte pilosité. Ce serait le cas des humains à considérer qu’ils puissent supporter de tels voyages...)

Pour l’heure, c’est lui, Daïk, qui ne supporte plus le voyage sur Terre. Il rampe entre les ajoncs géants, approche une longue bande d’asphalte : pour se déplacer à bord de leurs chars de feu, les humains ont tracé sur toute la surface de la Terre des croûtes de bitume et de cailloux mêlés qui serpentent entre les maisons.

Daïk sort de la civilisation des lapins et rejoint celle des humains par une voie bordée de marques de peinture blanche tantôt pleine, tantôt pointillée. Des lumières postées au-dessus des routes brillent à l’orée d’un groupe de constructions humaines : Daïk serait-il retourné au point de départ, près de l’empilement de roches qui sent la matière grasse ? Non. Il ne reconnaît pas l’endroit. Il n’en est pas loin et, pour tout dire, il n’a aucune envie d’approcher de ce repère bruyant peuplé d’humains hystériques. Il doit prendre la direction de Vannes où converge le chant des Séries, c’est tout.

Liste de noms en poche, il emprunte un trottoir désert, dunes sur sa droite, constructions humaines sur sa gauche. La plupart sont plongées dans les ténèbres. Quelques unes laissent filtrer des lumières inquiétantes. L’extradolescent passe son chemin, préfère éviter la présence incongrue de « population civile », comme ils disent dans les films - il en a maté quelques uns par hasard et c’était d’une violence inouïe – hooouuu, Daïk est une chochotte !

Il tâche de limiter son exposition aux seuls béleks. Il n’en croise aucun autre sur le chemin quand, tout à coup, surgit derrière lui une lumière crue qui balaye l’asphalte et grandit, l’envahit, l’absorbe. Un grondement accompagne cette ombre en négatif. Daïk est comme capturé par ce halo tout entier.

-Hé, qu’est-ce que tu fous ? Vannes, c’est par là-bas !

Il se retourne. Le Westfalia s’est immobilisé deux pas derrière lui, in extremis. Au volant, Rozenn.

-Aloooohaaaa !

-Vous… vous êtes encore en vie ?! Les Nantais ne vous ont pas...

-Non, les Nantais ne nous ont pas fait la peau ! On a ridé sur les vagues et on a survécu, sauf que la mer n’est pas top. On préfère rentrer à la maison ! Ca va comme tu veux ?

-Je suis épuisé.

-Mais tu te traînes pourtant ! T’as pas fait un kilomètre en trois heures ! On a eu le temps de surfer et de remballer tout le matériel !

-Et les Nantais ?

-Tu sais que tu es lourd avec tes Nantais ? Ils sont rentrés chez eux dans leur joujou et eux ils tracent. Ils sont déjà à la base et je peux te dire qu’ils ne sont pas rentrés sur Nantes, mais plutôt sur Landivisiau ou Lann Bihoué !

Rozenn sort du char à feu en laissant sa machine infernale enchaîner ses explosions sous le capot.

-Est-ce que vous pouvez éteindre cette machine ? Elle me fait peur.

-C’est bon, on t’emmène. Tu ne vas pas faire du stop à cette heure dans cette tenue, tu n’y arriveras jamais. Vannes est encore à une vingtaine de bornes.

-Oh… C’est beaucoup ?

-Pour tes petites jambes, le bout du monde.

-En fait, je n’ai pas atterri où je voulais, murmure Daïk, la mine coupable.

-Atterri ?, s’étonne Rozenn. Je te croyais du village…

-C’est-à-dire que...

Rozenn change d’attitude, pressent une fugue. Elle jette un regard de défiance à Benji qui comprend à son tour qu’il y a anguille sous roche et saute du Volkswagen.

-Comment t’appelles-tu au juste ?, demande-t-elle.

-Ben, Daïk.

Daïk ne parvient pas à mentir. Que connaît-il des noms humains sinon Merlin ou Taliésin… Pas grand-monde.

-Daïk comment ?

Aïe… Daïk doit avoir deux noms ??? Ah oui, c’est vrai : il pense à Théodore Hersart de la Villemarqué. Lui en avait cinq (de et la, ça compte ?). Il dit spontanément, fier de sa trouvaille :

-Ersardelavilemarké.

-Hein ?

L’extradolescent sourit en serrant les dents.

-Tu fais peur avec ton déguisement. S’adressant à Benjamin : il est super bien fait en plus.

-Grave.

-Répète ton nom, s’te plaît ?

-Ersardelavilemarké.

-Ben mon ami ! Ca ne doit pas être facile à porter. Rozenn, toi qui connais bien la région, t’as déjà entendu parler d’un tel nom ?

-Non. C’est du flamand ou c’est du bourgeois, ha, ha, ha !

--T’as un nom de la haute, dis donc.

-Je ne vois pas ce que vous voulez dire, répond Daïk sur la défensive, d’une voix de robot.

-Laisse tomber. On te ramène chez tes parents.

-Mais je veux aller à Vannes !

-Ca ne fonctionne pas comme ça. Tu es mineur. Tu ne discutes plus, on a assez perdu de temps ! Dis-mois, tu as quel âge au juste ?

-Je n’en ai pas avec moi, rétorque Daïk au bord de l’apoplexie.

Il ne trouve pas de soluce aux questions pressantes et confondantes. Comment leur faire comprendre qu’il est de leur côté, qu’il veut juste rencontrer l’enfant du druide, l’enfant de Bel, sans déclencher tout un esclandre et tomber sous le coup de la Loi ???

-T’as pas d’âge avec toi, répète Rozenn en détachant bien chaque mot. Trrèèèèès bien, je vois… Si tu ne peux pas nous dire où habitent tes parents, on va être obligé de t’emmener à la gendarmerie. Je te préviens, nous, on ne veut pas d’histoire.

-Mes parents habitent à Vannes !

-Ben voilà. Et comment s’appellent-ils ?

-Bélek !

Rozenn et Benjamin tombent des nues. Il cherche onze Bellec de Vannes, tout ça pour dire qu’il est perdu et veut rentrer chez lui… Un enfant de la Ddass ?

-Mais Ersardelavilemarké, c’est quoi alors ?

-C’est mon nom, euh… aussi !

-Je vois. Tu veux dire que tu t’appelles Ersardelavilemarké-Bellec ?

-C’est ça...

-Allez, en voiture !

-Et où habites-tu à Vannes ?, demande Rozenn.

-C’est-à-dire… à côté… à côté de…

Le bourbier continue. Ann Drouiz, pitié ! Pourquoi ne m’as-tu pas répondu tout à l’heure ? Misère. Le pommier ! Le pommier lui vient à l’esprit.

-Quelle rue ? Dis-nous seulement le nom de la rue.

-La rue… euh… la rue à côté… la rue… des pommiers !

-Rue des Pommiers, c’est ça que tu veux dire ?

-Oui, rue des Pommiers, c’est ça.

Il sourit.

Daïk s’installe en dernier à bord du véhicule, près de la portière passager. Rozenn prend de nouveau les commandes, démarre, opère un virage à cent quatre-vingt degrés. Personne en face. Le Westfalia patine puis bombe le torse et file à vive allure jusqu’à un cercle, près de la plage, puis s’engouffre dans une rue à angle droit. Le Volkswagen dodeline, grimpe sur une bosse au beau milieu de la route (idée saugrenue), puis une deuxième, puis encore une autre. C’est comme s’ils faisaient des petits ponts. Le véhicule pile avant d’emprunter un nouveau cercle. Il fait une large boucle, les pneus crissent, puis il suit un panneau dans la calligraphie locale : Vannes/Gwened. OK, c’est la bonne direction. Ils ont compris ! Le surfeur allume une sorte de mini tableau de bord comme sur les anciens vaisseaux (et ceux des Polons pour prendre un exemple de civilisation adepte de ce genre d’appareils antistatiques). Benjamin lui demande de confirmer le nom de la rue.

Nommer, c’est une obsession ici ! Noms de personnes, genres, mots mâles, mots féminins… UN pommier, UNE rue. Daïk a beau avoir saisi quelques rudiments de ces langages terrestres pour le moins étranges, il est stupéfait par cette obsession de la dénomination et du genre.

-Hé, Daïk, t’es sûr de toi ?

Au secours, Ann Drouiz, soufflez-moi quelque chose !, prie Daïk.

-Pas de rue ?, demande Rozenn sans quitter la route des yeux.

-Rue-des-pom-miers… Mer-lin…

-Qu’est-ce que tu me chantes ?

-Qu’est ce que tu me chantes... Chantez-moi le chant des séries numéro quatre !, bégaie Daïk, en pleine prière.

-Hein, quoi ? Articule quand tu parles ! Ils habitent au numéro quatre ? OK. Tu vois quand tu veux !

Rozenn veut y croire, mais s’étonne du comportement perturbé du gosse. Ce gamin est paumé, complètement paumé ! Ils ont cueilli un fugueur ! Manquait plus que ça !

-C’est bon, j’ai deux rues des Pommiers sur le GPS. L’un est dans un lotissement, l’autre en rase campagne… Tu habites en ville ou en campagne, Daïk ? Tu as parlé de village tout à l’heure…

-Village. Oui, village, lâche Daïk, pressé d’en finir.

-OK. C’est là, regarde.

-Vu. On fonce !

Au diable l’avarice, direction le 4 rue des Pommiers au « village », comme ils disent. Quand l’extradolescent reçoit enfin un rush d’Ann Drouiz, il est endormi, accoudé à la fenêtre du Westfalia. Le vieux druide de l’espace refait surface, nostalgique de la terre lointaine de ce qu’il prétend être les ancêtres de leur peuple « de mutants abrutis par les radiations et semblables à des morts vivants » (lire page 772.046 ½ in Le peuple qui se prenait pour des extraterrestres) et qu’Ann Drouiz a autoproclamé « Le best seller de tous les espace-temps ». En vérité, seul l’ouvrage intitulé L’univers II et l’univers IV ne font qu’un a reçu de nombreux avis de la critique ou, du moins, une avalanche de critiques :

 

Sur fond d’hymne à de lointaines légendes terriennes, Ann Drouiz revisite l’histoire de notre civilisation et se revendique comme un descendant direct d’un barde breton, peuple celtique à l’origine de nombreuses légendes « extravagantes ». En nous présentant comme des « extraterrestres », il entretient le mythe de l’isolement des Terriens dans un univers où ils évolueraient seuls contre tous. L’ouvrage « L’univers II et l’univers IV ne font qu’un » a néanmoins le mérite de poser la question : et si traverser les trous noirs renvoyait à nous-mêmes ? Le meilleur moyen est encore de voyager pour le savoir…

 

Daïk, lui, a adoré l’ouvrage et les critiques assassines n’ont fait que l’encourager à explorer les théories d’Ann Drouiz avec une conviction : n’y a-t’il pas une contradiction à défendre la Loi interdisant de se révéler aux Terriens et l’idée que ce peuple se définit en creux, à l’exclusion des autres ? Qui fait fausse route dans cette histoire ?

-Encore une seconde… Attends… Voilà. Je termine une greffe de plante terrestre en milieu extra-chlorophilé !

-Ann Drouiz !!! Comme je suis content de vous joindre ! J’ai tout mon espace-temps, répond Daïk.

-Oh, toi, tu as besoin de mes lumières…

-Plus que jamais. Je suis sur le point de rencontrer les onze béleks qui doivent me mener à l’enfant de Bel !

-Quoi ?

-Je suis au pays des Vénètes ! J’ai vu les armées de César et je suis en compagnie de deux béleks. Je les croyais condamnés, mais… ils ont survécu aux combats avec fougue.

-Fa-bu-leux !

-Le problème, c’est que mon existence risque de fuiter. Ils me prennent pour l’un des leurs. Comment faire ? Ils se sont mis en tête de me ramener à mes parents terriens !

-Aïe, ils sont terribles. Ils ne lâchent jamais leur progéniture comme ça, il faut les comprendre. N’oublie pas que tu descends d’eux.

-Vous le croyez toujours ? Je commence à avoir de sérieux doutes.

-Bien sûr que oui, pourquoi ?

-Ils sont si différents…

-Que font-ils en ce moment ?

-Ils conduisent un char de feu et font route vers le pommier des druides.

-Le pommier, dis-tu ?

-La rue des Pommiers.

-Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Peu importe… Continue à les suivre !

-Très bien.

-J’ai toujours rêvé de voir l’un de ces fabuleux chars de feu…

-La monture est bleue et blanche et fait beaucoup de bruit ! Je croyais que vous en aviez déjà vus ?

-Je ne connais pas cette époque.

-Dites, j’ai besoin de connaître le chant des Séries numéro quatre. Je ne sais pas comment je dois me comporter une fois que nous serons arrivés à destination : je suis censé reconnaître mes parents !!!

-Je serais enchanté de t’aider. Daïk peut entendre Ann Drouiz sautiller à côté de ses bulbes terrestres, excité comme une puce. Mais je ne vais rien inventer, Daïk. Je vais plutôt te rusher l’interprétation du collecteur que tu connais bien.

-Oui, je me suis fait passer pour quelqu’un de sa famille à vrai dire...

-Tttt, ah non, pas bon ça ! Et ce n’était pas un druide, mais un collecteur, nuance !

-Ils m’ont demandé un nom de famille…

-J’espère que tu ne vas pas les embrouiller. Ils ne sont pas censés le connaître puisqu’ils lui sont antérieurs. Tu joues avec le feu... Bon, on va gagner du temps : je vais te le dire. Hersart de la Villemarqué estime que le chant des Séries du nombre quatre et sa référence aux quatre pierres à aiguiser s’inspire en vérité d’une seule pierre, dans la tradition galloise : cette pierre, disent les Gallois, vint en héritage à Tudno Tedgled fils de Jud-Hael, un chef armoricain. Il suffisait d’y passer les épées des braves pour que ces dernières puissent couper l’acier (c’est un alliage terrestre, je t’expliquerai un jour quand nous aurons plus de temps). Loin d’aiguiser celles des lâches, cette pierre les réduisait en poussière ! De plus, quiconque était blessé par la lame qu’elle avait aiguisée mourait aussitôt !

-Réjouissant.

-Oui. Fais très attention, Daïk. Evite tout contact avec une telle épée. Je ne peux te conseiller quoi que ce soit d’autre sinon de rester sur tes gardes. Il se peut que ton intégrité soit révélée par cette pierre. Ne te comporte donc pas comme un lâche, reste sur ta défensive et tout devrait bien se passer, c’est compris ? C’est un principe de vie qu’il convient de suivre tous les jours. Le chant des Séries est peuplé de principes de vie.

-C’est promis, Ann Drouiz. Merci. Merci infi... éphémèrement !

Rupture de faisceau après qu’Ann Drouiz lui ait souhaité bonne chance. Daïk émerge de sa torpeur, observe la route, bien plus large à présent. La fameuse route sans péage des Vénètes et des autres peuplades le conduit dans les faubourgs de la cité au bord du golfe. Le char à feu se faufile parmi d’autres chars de toutes sortes : des petits, de plus imposants avec des drapeaux noir et blanc et des BZH aussi à l’arrière. Des lumières éblouissent Daïk telles des étoiles trop proches pour être honnêtes. Le cœur de l’extradolescent palpite. Quelque chose lui dit qu’ils se dirigent tous les trois à bon port et que son comportement devra être à la hauteur de l’événement... Daïk se réveille en sursaut et découvre que Benji est en train de tirer de façon maladroite sur son masque, en vain ! L’extradolescent bondit de son fauteuil, déroule une bonne gauche en plein dans le visage de Benji, surpris par la manœuvre expéditive.

Il pousse un cri de mijaurée :

-Espèce de lâche !, se justifie Daïk.

-… excuse-moi ! Excuse-moi !, répond Benjamin. C’est juste que ton masque est super bien fait…

-Pas recommencer, hein !

-Promis. On va bientôt arriver et tu vas les revoir, tes Bellec, et nous, on te fichera la paix après ça !

Rester sur la défensive… Faire attention à l’épée des lâches… Autour de lui, le taux de radioactivité augmente dangereusement. La route sans péage délaissée, le Westfalia emprunte de nouveaux cercles avant de quitter pour de bon la civilisation du bitume et du ciment pour celle des maisons en pierre radioactives. Le pays des druides aux pouvoirs surnaturels approche... Surgit un panneau. Les calligraphies phosphorescentes l’aveuglent : « Giratoire de Kervoyel / Kroashent-tro Kerwaiel. » Encore un cercle avec une route autour, mais au centre du cercle, il n’y a toujours pas de mégalithe comme si le peuple avait renoncé à ses lointaines croyances et décapité ses pierres levées. Les vestiges sont pourtant innombrables ! Ils ne cessent de tourner autour de tels cercles, tantôt plats, tantôt bombés comme des tumulus, tantôt ornés d’exvotos sans queue ni tête : des ancres de bateau, des fanages, des blasons, des massifs de fleurs, et toujours ces panneaux qui nomment les choses. Les cercles désacralisés ont perdu leur signification, le symbolisme a été supplanté par des noms formels tantôt dans une langue dérivée de celle des romains, tantôt, en-dessous, dans celle descendant des druides, comme si Daïk arrivait après la bataille. Après que tout soit déjà trop tard...

Les armées de César ont mis la main sur les mégalithes et les Vénètes ont perdu leurs idoles. Les campagnes ont été défrichées, les routes romaines se sont multipliées. Daïk a l’impression de naviguer entre deux mondes. Où sont les véritables survivants ? Pas de ceux qui se sont soumis ou essayent de lui arracher son revêtement protecteur comme s’il s’agissait d’une armure ! Ils auraient pu le tuer s’il ne s’était réveillé à temps.

La route serpente désormais sous la voûte d’immenses arbres. Il reconnaît des chênes. Ceux des druides… Daïk sent leur présence. Un nouveau nom : Le Vang. Plus loin, la forêt se fend en deux, disparaît comme par magie sur leur gauche pour laisser place à de vastes étendues aussi vertes qu’inhabitées puis à de nouvelles voies romaines. De nouveau, un cercle sans mégalithes baptisé « giratoire de Penrho », dans un croisement des deux langues. Le char à feu crépite, fait un quart de tour avant de pénétrer sur une nouvelle voie, étroite et obscure.

La nuit est tombée. Le satellite naturel de la planète Terre se découvre, remplaçant les lanternes perchées au-dessus des routes. Personne en face, personne devant, personne derrière lui. L’équipage avance seul sur cette voie profonde. Rozenn lui dit qu’ils sont proches du but. Daïk va enfin savoir qui sont ces onze béleks. Cachent-ils l’enfant de Bel ? Sera-t-il le premier venu du cosmos à défier la Loi ?

Il est temps de les sortir de l’ignorance suicidaire… Encore quelques centaines de révolutions et tout sera trop tard. Ils ne pourront plus s’extraire de leur condition de mortels et périront avec leurs icônes.

Un virage sur la droite. La route bifurque à nouveau, semble foncer droit sur une vieille bâtisse de roc et de chaume. Une autre, à côté, est protégée des vents et des pluies stellaires par une mosaïque de petits blocs schisteux découpés au cordeau et comme agrafées les unes aux autres. Entre chaque bâtisse, des câbles les relient entre elles, par les airs. Ces filins sont chargés d’électrons, de protons et de neutrons. De toute évidence, ils transportent de la farine de l’air en petite quantité, d’un habitat à un autre. Pas de quoi réaliser des explosions nucléaires, certes, mais Daïk ne se souvient pas avoir entendu parler de tels câbles électrostatiques dans les récits d’Ann Drouiz ni dans ceux rapportés à travers lui par le collecteur et autres Initiés de la vallée du Bélen.

C’est aussi étrange que cette succession de cercles mégalithiques évidés ou que tous ces chars à feu cacochymes.

Désormais, la route traverse d’immenses bosquets et des forêts sans fin. Sur le bas-côté, à hauteur de virage, des petits piquets blancs ont été plantés comme pour prévenir d’une sortie de piste. Ils reflètent les flammes du char à feu : Ker Réan, Ker Gac… Les noms se succèdent au fil de la route. Encore un qui surgit sur un panneau vertical représentant un cercle noir sans mégalithe : La Vraie Croix.

Rozenn demande à son copilote de lui montrer l’adresse exacte sur la carte : la rue des Pommiers est tout près d’ici, répond Benji.

Daïk se sent de plus en plus nerveux. L’extradolescent repousse même un rush d’Ann Drouiz. Peut-être vient-il le mettre en garde d’un danger imminent. Il préfère le repousser parce qu’il a peur de manquer de vigilance et que les autres en profitent. L’extradolescent a tout de même le temps d’entendre ces quelques paroles venir cogner à son esprit :

 

Il y a trois parties dans le monde : trois commencements et trois fins…

 

Non, ce n’est pas le moment ! Le véhicule crachote, vrombit, grimpe sur une énième bosse avant de pénétrer dans un village où d’innombrables maisons radioactives se succèdent et s’imbriquent. Comment se repérer dans un tel fouillis, c’est un véritable dédale avec des escaliers qui semblent mener nulle part. Des fleurs suspendues dans le vide, des sculptures gravées sur les maisons : 1776, 1816… Le véhicule longe un jardin bordé de blocs sauvagement empilés les uns sur les autres. Dans l’herbe, Daïk reconnaît des lutins plus petits que lui, semblables aux neuf korrigans qui dansent avec des fleurs dans les cheveux et des robes de laine blanche. Ilreconnaît aussi une fontaine, à côté du jardin, dans la clarté de la pleine lune... Le but est proche. La direction, sans appel. Les indices confirment tout ce dont a parlé Ann Drouiz. Les éléments sont là, dénués de symbolisme.

Le Westfalia s’immobilise. Rozenn coupe le moteur. A un jet de pierre du nez du véhicule, des plantes médicinales ornent un chaudron fixé au pilier d’une sorte d’immense portail telle une entrée dans un monde parallèle. Rozenn et Benjamin descendent et invitent Daïk à en faire autant. Il saute dans le vide tant les marches sont espacées et s’affale sur un tapis de petits cailloux extrêmement désagréables et contendants :

-Ca va ?, font les deux béleks en combinaison.

-Ca va. (Il a mal, mais serre les mandibules).

-C’est bien ici ?, demande Rozenn.

Le couple de surfeurs désigne une petite boîte jaune censée détenir la preuve irréfutable qu’ils sont bien arrivés à destination :

 

Famille Le Bellec

4 rue des Pommiers

 

-Oui, c’est bien là, feint de savoir Daïk.

Un grand corps de bâtiment principal lui fait face. A sa gauche, une bâtisse encore en construction avec des câbles désactivés sortant des murs et des trous béants partout. Sur la droite, une allée fait office de délimitation et, par delà cette voie privative, dessert un jardin éclairé par une puissante lanterne fixée au mur de la bâtisse principale. De l’autre côté du jardin, une petite cour, puis un troisième bâtiment illuminé avec deux voitures stationnées devant.

Deux étiquettes identiques sont collées à l’arrière de chacun des véhicules : « GB. »

 

12 novembre 2017

Daïk, chapitre 27

 

surfeurs bretons

 

lettre typo celtique D

ES IMPACTS D’ASTÉROÏDES ENTRÉS EN COLLISION avec la Terre il y a plus de trois milliards d'années ont fait bouillir les océans comme une marmite. Le résultat de ces impacts a été un tel réchauffement de l'atmosphère - avec des températures de cinq cents degrés pendant quelques semaines et de plus de cent degrés pendant plus d'un an - que la couche supérieure des océans a bouilli sur une profondeur de cent mètres.

Sans cet événement, moins connu que l’extinction des dinosaures, toute l’alchimie de la vie sur la planète Terre aurait été modifiée en profondeur. L’apparition de l’homme doit donc à une série d’interventions extérieures : apport d’exo-molécules par les comètes (comme cela semble se confirmer au travers des missions Rosetta et Philae), bouleversement des équilibres causés par l’impact d’astéroïdes géants… La vie sur Terre est en soi une œuvre extraterrestre.

Rendre visite à de lointains ancêtres ne devrait donc pas être une gageure.

Las, le surfeur délaisse son ondine et dirige Daïk vers son Westfalia bleu et blanc.

-1,6 litre, qu’il lui dit. Il chauffe grave dans les embouteillages, mais à part ça, il est top, franchement, mec, j’adore cette caisse !

Daïk inspecte ce qu’il pense être un char de combat :

-Où sont les chevaux ?, demande-t-il.

-Tu t’intéresses à la mécanique ? Soixante sous le capot si tu veux tout savoir.

-Soixante chevaux ? Eh ben…

-Bah, c’est que dalle.

Modeste avec ça ! Le chevalier possède soixante montures, de toute petite taille. Il n’a jamais vu de cheval de sa vie et s’imaginait ça beaucoup plus grand, en fait, mais peut-être existe-t-il des modèles miniatures, comme des drones, qu’on envoie au devant des combats.

-Pas touche à mon fauteuil, hein ? Bah, de toute façon, tu n’atteindrais jamais les pédales !

Daïk télépathe une traduction incongrue. C’est le problème avec leurs langues terrestres. Il existe toutes sortes de variantes possibles pour un même terme. Leur lexicologie est à elle seule un capharnaüm invraisemblable, c’est Babel et à l’intérieur de Babel :

-Très bien. Viens par là.

Le surfeur désigne son ordinateur portable, posé sur le fauteuil passager central. Daïk, qui a dû escalader pour le voir fait les grosses facettes :

-Je vois ce que tu penses, j’ai oublié de fermer à clef ! Mais t’inquiète, on ne m’a jamais rien volé ici, tu vois. C’est ça la magie du monde des surfeurs. Le vol n’existe pas. Au fait, je m’appelle Benjamin, mais tu peux m’appeler Benji.

-Enchanté, Benji. Moi, c’est Daïk.

-T’as pas trop chaud sous ton costume ?

-Non, c’est parfait.

-Attends. T’as un bout de cellophane qui se décolle, là.

-Hé, pas touche !, éructe Daïk.

-Je te file tes adresses et tu te tires, hein ? Tiens !

Benji lance le site des pages blanches, clique sur Vannes et lance la requête.

-Tu vas les voir de ma part, ils vont être ravis de jouer à Halloween avant l’heure !

Hallo… ween %@&?? ñ?$-(

Qu’est-ce que c’est ce truc encore ? Un piège ? Petite recherche mentale. Halloween, contraction de All Hallow Even ou Oíche Shamhna en gaélique d’Irlande, ou encoreSamhain en gaélique d’Ecosse, terme repris par les Bretons d’Armorique et aussi en Gaule sous le nom de Tri nox samoni. Et voilà, comme un robot érudit et sur-éduqué, Daïk est reparti pour un tour ! Que dire d’autre ? Que de lointains descendants lorrains la célébraient encore avant les deux grandes guerres terriennes. Les Celtes faisaient ribouldingue à l’occasion de la nouvelle année le 1er novembre, lorsque l’hémisphère nord commence à plonger dans l’hiver stellaire, ribouldingue où les esprits des morts pouvaient revenir et hanter les maisons des vivants. Inimaginable dans son paisible univers II !

Benji lui conseille de rendre visite aux onze béleks pour le nouvel An avec ce qu’il prend visiblement pour un costume. Quel intérêt ? Daïk veut remonter jusqu’à l’enfant du druide, comprendre le chant des Séries. Le niver unan, Yeh ! Mais peut-il faire confiance à ce qui lui semble être deux brebis du troupeau égarées ?

Benji n’a pas pipé mot sur ce qui est en train de se tramer sur cette plage et ignore superbement les attaques des Nantais. De trois cents, ils ne sont plus que onze… et le type lui confectionne une liste de onze bélek ! Faut-il en déduire que Benji et Rozenn font partie des deux cent quatre vingt neuf combattants vénètes qui vont se faire exterminer par les armées de César ?

L’extradolescent frémit à l’idée de connaître à l’avance leur triste sort. Saleté d’espace-temps : Benji et Rozenn n’ont pas conscience du danger et de ce qui les attend. Voilà des combattants bien sûrs de leurs forces…

D’un côté, LA LOI, qu’il a du reste déjà en partie enfreinte, lui dicte de rester à l’écart du cours des choses sur Terre, et de l’autre l’envie irrépressible de leur porter secours se fait jour… Il ne peut pas les laisser se faire massacrer comme ça.

-Benji, qu’est-ce que tu fous !, crie la fille.

Il ne peut pas ! Non. Lui encore… Mais la fille… Oh que non ! Daïk peut-il faire en sorte que les onze béleks soient en réalité treize ? Qu’est-ce que cela peut faire ? Est-ce que l’histoire du monde s’en trouverait bouleversée ? Non ! Une femelle peut-elle devenir une bélek comme les autres, est-ce que ça pose fondamentalement un problème ? Non ! Et puis, s’ils s’accouplent, ça fera quoi : quelques centaines ou milliers de descendants supplémentaires par millénaire ? La belle affaire ! Ils sont déjà serrés comme des sardines sur cette planète ! Il paraît qu’ils s’éclatent à faire ça, en plus…

Non. Benjamin lui conseille gentiment de rendre visite aux onze béleks à l’occasion du nouvel An – ils en sont encore bien loin ! – Daïk pense à l’inverse que ça urge et que Rozenn et Benji ne mesurent pas l’imminence du désastre. Il a une carte à jouer dans la destinée des Celtes de cette planète à l’origine de formidables légendes terrestres connues jusque dans le cosmos. Daïk est persuadé qu’il s’agit de ses ancêtres, Seigneur, SES ancêtres, et il sait qu’ils vont se faire laminer !

-T’as pas de portable, j’imagine ?

Cette vieille technologie complètement dépassée ? Oh non, il n’en est plus là, s’ils savaient. Il fait non de la tête.

-Pas grave, je pensais t’envoyer un petit texto, mais je vais griffonner ça sur le revers de mon flyer là, tiens.

Benji lui tend une iconographie avec de jolies femelles en combinaison portant des armes monumentales sous le bras, genre : on-est-ravies-de-partir-au-combat ! Les pauvres, si elles savaient ce qui les attend… Daïk ne pourrait pas toutes les sauver, c’est évident. Et Benji qui arbore les portraits de ses équipières qui vont périr avec lui. Ah… s’il savait lui aussi...

-Misère, murmure-t-il en saisissant l’avis d’obsèques prophétique avec ses pauvres condamnées à mort dessus.

Benji remarque l’attitude hyper-absorbée de Daïk avec ses surfeuses sur le flyer :

-Eh, t’inquiète, mon petit ! Un jour, tu en rencontreras une pareille, va ! Il lui bourre l’épaule d’un coup de coude, à en déchirer sa combinaison primaire. Dis donc, t’es sous le charme, hein ? Je te préviens tout de suite, je n’ai pas leur numéro six, mais j’ai Rozenn, hé, hé. Elle est pas mal non plus…

Benji ferme un œil ostensiblement puis l’ouvre à nouveau. Message sibyllin : Benji se fait Rozenn. Pour tout dire, il s’en doutait un peu ! Etonnant comme l’iconographie officielle n’a retenu que leurs actes de bravoure et quasi exclusivement ceux des mâles. Daïk a la preuve formelle, sous ses yeux, qu’il y avait aussi des combattantes.

Reste que l’heure est grave, la menace imminente. Il les supplie de le rejoindre.

Benji ne comprend pas bien :

-Tu veux quoi ? Qu’on t’emmène à Vannes faire la tournée des Bellec pour fêter Halloween avec six mois d’avance, t’es pas bien ?

-Non, ce que je veux dire… c’est que vous courrez un grave danger. N’y allez pas…

-Où ça ?

-Dans l’oxy… l’hydro… dans l’eau, quoi !

Lasse d’impatience, Rozenn surgit derrière la portière conducteur du Westfalia :

-Bon, Benji, le clapot, c’est maintenant !

-Il ne me lâche pas d’une semelle.

-Tu ne vas pas te laisser ch… dans les palmes par ce gosse ?

-N’y allez pas ! Vous courrez à votre propre perte, crie Daïk.

-Qu’est-ce que tu nous conseilles de faire, alors ? Un bal masqué ? On a assez joué comme ça. Décampe ! Tire-toi.

-Va embrasser tes Bellec de Vannes pour nous !

 

Et ils courent à leur perte.

Fiers comme des perdants.

Tant pis pour eux !

Daïk est triste. Il dessine deux petites croix sur la plage :

 

† †

 

… et il s’en va.

Il part vers les derniers des combattants vénètes, puisque le destin semble inaltérable.

Les mortels restent des mortels. Ils ne veulent pas se donner la peine... De toute façon, ils n’ont jamais fait de l’immortalité l’assurance-vie de leur race, préfèrant se reproduire !

Daïk ne peut rien pour eux. Les Nantais vont les exterminer !

Daïk erre sur la plage, remonte la dune, puis traverse de nouveaux bouquets de plantes hostiles, aussi revêches que ce peuple dépassé par tous les conflits qu'ils ont créé entre les êtres et les espèces.

Ils sont perdus à jamais, pris dans les tenailles d'Eros et Thanatos. Impossible pour eux de regarder leur destinée avec un peu de recul !

 

Papa, maman, sachez que je me sens bien seul, ce soir, sur Terre…

Je n’enfreindrai pas la Loi, non par désir mais par fatalité.

Ces êtres sont prisonniers de leur destin, ils courent à leur perte.

Je vais partir au devant des onze béleks de Vannes, peut-être les ultimes représentants du royaume de Bel.

Tous les autres sont perdus.

 

11 novembre 2017

Froid dehors, chaud dedans à Stockholm

Froid dehors, chaud dedans à Stockholm
Film en VS à l'hôtel, non loin de Gamla Stan : Åi passé la nuit à l'hôtel avec une actrice. Certes, elle n'est pas Suédoise mais qui sait, tout peut arriver. Stockholm, ville aux couleurs si froides, si chaudes, au gré du temps, des humeurs des gens....
9 novembre 2017

Daïk, chapitre 26

  

lettre typo celtique D

ANS LA RÉGION, LES RIVERAINS SONT HABITUÉS AUX TIRS de canon

qui s’entendent des kilomètres à la ronde. Cela fait partie du paysage.

Les campagnes de tir sont peu fréquentes. Peut-être trois ou quatre

jours par mois hors période touristique aux heures de la sieste des

enfants... L’armée a ses plages chasse gardée. Tout près de là, la

Direction générale à l’armement occupe un bâtiment étrange qui  ressemble à un

sous-marin planté dans le sable à l’entrée d’un isthme pas déplaisant  menant à un joli

petit port de pêche.

Mais là tout de même, c'est inattendu : Daïk est tranquillement installé au bord de l’eau,

Il contemple la mer d’oxygène hydrogéné, avec un zeste de soufre,

de calcium, de chlore, de sodium, de brome, de magnésium et de carbone, de la

même manière qu’il contemple d’ordinaire sa planète gazeuse comme un légume,

immortel d’ennui, et là, soudain, surgit une machine de guerre qui lui tire dessus !

-OK, nous y voilà. Je vois à qui j’ai affaire ! Ils m’ont repéré !

Il bondit derrière les ganivelles sur la dune. A côté, un autre panneau représente

un être humain marchant avec un bâton à la main.

Daïk croit comprendre : seuls les combattants ont le droit de venir ici 

avec leur gourdin !

L’extradolescent est bien au pays des Vénètes, peut-être du temps de César,

il n’a pas pris le temps de vérifier. Où sont les druides ? Ont-ils déjà levé le camp ?

Les vaisseaux ennemis venant de Nantes, en voilà un ! Malheur à vous !

Daïk doit prendre la direction de Vannes et trouver les onze béleks avant qu’il ne soit trop

tard, le tourisme attendra !

Il s’élance entre les oyats et les spirantes dans la dune vive, piétine sans vergogne

de rares tétragonolobes siliqueux couleur or. Ses pas s’enfoncent dans cette matière

tiède et informe qui s’étale, à perte de vue, devant lui, parsemée de plantes

stupides et inutiles qui lui lacèrent les mollets fémoraux à travers sa combinaison

espace-temps. Une saleté d’ivraie du Portugal vient lui déchiqueter sa rétro-combinaison

étirable, la grosse gerbe de Lolium parabolicae Sennen lui pique sa peau satinée

(et imberbe) jusqu’à l’entrejambe asexué provoquant une quinte de fou rire inattendue,

il n’avait encore jamais ressenti ça ! Et là, soudain, devant lui, surgit un groupe

de jeunes humains avec une planche en forme de soucoupe elliptique sous le bras.

Un mâle puissant et une femelle aux cheveux jaunes et filandreux comme

un tétragonolobe recouverts d’une fine pellicule d’oxygène et d’hydrogène toute

dégoulinante lui font face. Daïk se terre derrière ce qu’il pense être un char à feu

en forme d’œuf stationné sur la lande. Pourquoi prennent-ils cette direction ?

Vont-ils s’opposer aux vaisseaux venant de Nantes ? Par déduction, ces deux individus

étrangement armés doivent être des combattants de Vannes avec leurs épées brisées.

Vannes ! Où est-ce au fait ?

Deux indices l’interpellent : leurs robes ne sont pas ensanglantées et ils ne portent pas

de béquilles ! Daïk hésite à enfreindre la Loi. Furtif comme un astéroïde, il se poste

au devant d’eux, près des ganivelles qu’il prend pour des palissades. Peut-être un vestige

d’un ancien village gaulois aujourd’hui englouti ou une réplique d’un mur de fortification,

une frontière avec le royaume des morts...

Il doit les faire parler ! Vivants, c’est mieux.

Ils sont sans nul doute du côté des fameux druides en déroute.

Daïk prend son courage à quatre mains et s’approche du couple en train de bavarder

avec leurs étranges lunettes vissées sur le crâne comme si leurs yeux leur sortaient des

cheveux. Ils disent qu’ils vont rider les vagues.

« Rider » ? Tsssst. Ce terme est inconnu dans la langue des Vénètes !

Daïk entre en télépathie avec son bocal terrestre en quête d’une traduction adéquate.

Vite, vite ! Ah ! OK. Il s’agit soit d’un terme de langue française sous-entendant

qu’ils vont vieillir la peau des vagues soit d’un terme de langue britannique,

celle qui est parlée du côté de chez les Bretons insulaires (depuis qu’ils se

sont faits submergés par des Angles, des Jutes et des Saxons) et qui signifie

chevaucher. Mouais. Etonnant qu’ils utilisent des mots étrangers,

mais ce sont probablement des chevaliers vénètes tout de même !

Et puis, leurs cheveux longs et leur allure téméraire correspondent bien

aux iconographies en vigueur, il n’y a pas de doute là-dessus. Reste à savoir

où sont passés les autres : de trois cents, ils ne sont plus qu’eux onze

Ces deux là font sûrement partie des ultimes survivants !

La machine de guerre venue du ciel fait un nouveau détour. Des tirs de canonnades

retentissent. Ni une ni deux, Daïk jette un hypno-rush sur les deux cavaliers-navigateurs.

Leurs cheveux se figent. La fille en perd sa chaussure dans l’océan de particules

de roche désagrégée, de quartz, de micas et de feldspaths mâtinés de débris calcaires,

de coquillages et de corail. Daïk s’approche d’eux et plonge ses yeux à facette dans les leurs :

-Daik, mab gwenn drouiz ore, Daik, petra fell dit-te ? Petra ganin me dit-te ?

Kan din eus-a ur rann, ken a oufenn bremañ…

- ???

-COMPRENEZ-VOUS LA LANGUE DES DRUIDES ?!

-Oh, doucement petit !, fait le surfeur décoloré.

-C’est du breton, lui dit la fille en posant son bonzer. Salud dit ! Aloha !

-Moi, le breton j’aime bien comme ça, mais à part chouchenn, kenavo, a-dreuz,

mor bihan ou quelques trucs dans le genre, répond le faux blond.

Daïk se tait et se compose une posture inspirée. A force de regarder les humains dans son

bocal, il a tout de même appris quelques mimétismes de circonstance :

-Je vois, je vois.

Ils disent souvent ça. En fait, il ne voit pas grand-chose sinon que l’hypnose sur les humains,

ça marche moyen. C’est parce qu’ils sont mal dégrossis. Il tente une autre approche

 avec un copié-collé de voix humanoïde :

-Quel est le chèfe de votre tribuuu ?

-Mouahahaha l’autre ! Allez, enlève ton costume d’extraterrestre

sous cellophane ! T’as perdu tes parents ?

Le ton irrévérencieux n’est pas fait pour déplaire à Daïk. En fait, ça lui rappelle

celui de ses jeunes congénères, comme sa cousine née d’une resucée de gênes

prélevés sur ses grands parents. Pas de chance, c’est le seul membre de sa famille,

parce que les manipulations génétiques, c’est tout de même hors de prix...

Il paraît que se reproduire est encore gratuit sur Terre.

Toujours le mot pour rire. Tu veux que j’enlève mon costume ? Tu ne vas pas être

déçu, l’humain ! De toute façon, je porte un revêtement anti-UV parfaitement

adapté à la composition et à la pression de votre atmosphère saturée d’humidité.

Mais enfreignons la loi jusqu’au bout. Ils vont l’avoir, leur attentat à la pudeur !

Daïk déchire son film déjà lardé de griffures faites par ces satanées plantes

qui lui piquent l’entrejambe.

Il dévoile une autre pelure, bleu nuit.

La fille fait des yeux éberlués :

-C’est bon, c’est bon, dit-elle. Arrête ton bikini contest. Garde ton intégrale !

Seigneur, ils ne sont pas sous hypnose ! Ca ne fonctionne pas ! Ils se disent simplement

qu’il est… costumé. Comme s’il était des leurs ! Daïk renonce à se déshabiller.

Il opine du chef :

-OK, vous m’avez reconnu ! Je suis un enfant du pays !, tente-t-il.

-Ouais, bien sûr, le villageois ! Bon, mon petit, on va y aller, d’accord ? Parce que là,

c’est le moment d’y aller. Il y a un méchant clapot aujourd’hui et on ne voudrait pas

rater ça ! 

Puis, se tournant vers l’ondine, il lui dit :

-La vache, il est carrément deep inside, ce gosse !

-Ouais, grave !

Et ils s’éloignent vers l’océan…

 

-Hé ! Attendez ! J’ai juste un truc à vous demander ! Hého !

Tout en dodelinant des fesses, l’ondine fait claquer un mouvement de la main

comme pour dire : « lâche l’affaire. » Mais Daïk ne se démonte pas, court après eux,

manque de s’affaler dans la poudreuse des mers. Le surfeur finit par interrompre la marche

de sa comparse du bout des doigts, se retourne, raide comme un passif agressif :

-Quoi encore ? Va jouer au bac à sable, OK ? Tu nous lâches maintenant !

-Juste que… Je voudrais vous dire que… Les Nantais ! Les Nantais attaquent !

-… Les Nantais ? Mais bien sûr ! Ouiii, les Nantais… Où t’as vu qu’il y a de la compète

dans l’air ici ? Crétin, on est seul, il y a personne aujourd’hui !

-Il fume ou quoi ?

-Grave ! C’est pas un truc de ton âge, Mars Attack !, envoie la fille.

Pantelant, Daïk tente alors, comme une désespérance :

-Je veux juste savoir où sont les vôtres ? Dites-moi juste où sont partis les onze béleks

et je vous jure que je vous laisse tranquille ! Je cherche les onze béleks de Vannes !

-Les onze Bellec ? Rozenn, t’en connaitrais pas, toi, des Bellec, par hasard ? Ca ne manque

pas par ici...

-Si, Joss et Koupaïa. Mais ils ne sont pas onze ! Sauf en comptant leurs cousins,

remarque…

-OK, fait le surfeur. Il veut les Bellec de Vannes ? Il va les avoir !

___________________ 

*Avec même d’authentiques bretonnants de comptoir, parce que c'est souvent là que l'on découvre ses premiers bretonnants en chair fraîche.

4 novembre 2017

Daïk, chapitre 25

 

lettre typo celtique I

L DESCEND LA COLLINE QUI REJOINT L’ESTUAIRE en traînant

derrière lui une gaine préfilée de 2.5 mm² comme une laisse.

En bas, une aire de jeux s'ouvre à lui. Et là, stupeur :

une femme toute de cuir vêtue se suspend lascivement à la

balançoire. En guise d'anneaux, deux paires de menottes. Elle le regarde

avec un air détaché, comme si tout cela était parfaitement normal.

A droite de la balançoire, deux équipes mixtes de volley-ball s'affrontent. Après

chaque point, elles improvisent des danses solos endiablées.

Du volley rythmique, en somme.

Soit.

Pourquoi pas...

Il poursuit son itinéraire chez les dingues. Un peu plus loin, s'ouvre un autre

terrain de volley. Un semi-terrain, en fait. A hauteur du filet, un podium,

duquel un type lance des balles aux joueurs, de toutes ses forces.

Il se glisse parmi les joueurs, qui réceptionnent les balles

avec une aisance déconcertante. Soudain, un tir canon fonce droit sur lui !

Il réceptionne la balle, mais sitôt renvoyée, elle part à quatre-vingt dix

degrés sur sa gauche, direct sur le visage d'un petit blond, furieux, qui l'invective aussitôt !

Joss se réveille brusquement, en ce samedi matin.

Encore un rêve complètement con.

Non : une résurrection !

Et merde, Joss n’est pas mort !

La radio le rappelle à son enfer sur terre : la maison, le chantier à finir,

son gosse entre la vie et la mort, sa femme qui menace de s’embourgeoiser

(sa grande angoisse existentielle) en s’éloignant des fondamentaux

qui présidaient à l’orée de sa vie adulte : l’engagement, la passion, l’amour,

toutes ces valeurs positives, tu n’oublies pas, hein, ma chérie ? Et lui, Joss,

qui menace d’abdiquer, un comble ! Il ne parvenait plus à sortir la tête

de l’eau dans son piège à ragondin : auto-construction, sarco-radiation,

éco-survie, radinerie post-crise à tous les étages pour cause de non-reprise

économique (scénario dit en W ou pire : en L______). Eco-phalogramme

plat. Et retraite inexistante en subissant les persiflages récurrents des Glorieux,

pas tous, non, mais de ceux qui ne touchent que XXXX euros de pension,

il en aura peut-être XXX (et on s’en fout) ! Et son Engliche de voisin qui lui

rappelle tous les jours à sa dure condition de continental-élu-pigeon-de-l’année :

ce type n’a pas plus de boulot que lui, mais vit mieux parce qu’il a joué

les parités livre-sterling/euro pour venir s’installer sous sa crotte de nez !

Il roule (toujours, mais cela dit pour combien de temps ?) en cross-over Honda

haut de gamme sous ses fenêtres et sa femme le nargue avec ses seins

du nord de l’Angleterre qui sont incomparablement plus volumineux

que ceux de la côte sud ! Bordel de merde ! Il ne manquait plus que des

mauvaises nouvelles à la radio, ô comble du mauvais goût ! Qui a eu cette idée

infâme ? Qui en veut systématiquement à sa sérénité et préfère le ramener

au cirque sans fin des emmerdes matérialistes alors qu’il se faisait à l’idée

de couler une mort heureuse en Anaon, le Royaume des morts, où la culture

des Vieux Pères n’est pas plus à l’agonie que celle des autres. Joss le néo-poujadiste

(il s’en défend, mais il sait que c’est l’impression qu’il doit donner, oh que oui !)

ouvre les yeux et s’attend à tomber sur un Jacobin coupeur de tête : « Ha, ha, ha ! »

Non, c’est plutôt un chroniqueur expert es mondialisation qui a dû virer sa cuti

après avoir bouffé son bulletin de vote pro-Maastricht et qui a, dans ses poches,

plein de pièces de deux euros avec des aigles vengeurs dessus.

Et voici le coup de grâce à la radio :

-Etonnant revirement mondial en quelques mois. Et que dire de la surchauffe

pour cause de pénurie de matières premières, qui laisse place à un choc

déflationniste ? L'explosion des bulles financières et immobilières a cassé cette frénésie artificielle sur fond de pénurie de pétrole à moyen terme. En réalité, ne s'achemine-t-on pas vers une crise de surproduction généralisée ? Le développement exponentiel de l'outil de production chinois va plus vite que la musique. Quid de celui des autres pays en transition économique, comme le Brésil et sa population bientôt comparable à celle des Etats-Unis ? Quid demain de l'Indonésie ? De l'Inde ? En l'espace de quelques années, quelques c'est l'équivalent de plusieurs Etats-Unis, de plusieurs Europe, qui viennent de rejoindre le bal du grand marché mondial. La montée en puissance de ces nouveaux producteurs de biens de consommation courante va bien au-delà du rythme de croissance de leur classe moyenne en mesure de consommer. Elle repose avant tout sur les délocalisations dont ces pays bénéficient à plein. Simple transfert de production ? Oui et non. D'une part, ce transfert s'accompagne d'une baisse du niveau de vie des pays industrialisés, où les destructions/précarisation d'emplois vont bon train générant un ralentissement de la demande. D'autre part, ce déplacement de production se fait en décalage dans le temps. Surtout, il se traduit par une baisse de gamme. Les coûts salariaux moindres permettent de produire moins cher et en plus grande quantité !

Joss signe le pire réveil de sa vie. Et là, le visage de sa femme apparaît !

 

Koupaïa est fière de sa dernière trouvaille : elle lui dit qu’elle a dégotté

un poste de radio avec clé USB pour qu’il ne s’ennuie pas dans sa chambre

d’hôpital. Joss pense combien-a-coûté-ce-colporteur-de-mauvaises-nouvelles -

alors que ça coûte que dalle grâce aux Chinois - et aurait préféré une oraison

funèbre en mode mineur par un quelconque compositeur de musique classique

bipolaire genre Frantz Schubert mort à trente-et-un ans ou Robert Schumann,

hypocondriaque dépressif. Non, Seigneur, Koupaïa seulement.

Eteins ce poste tout de suite ! 

Oh que oui, Joss est toujours bien vivant.

-Où est Nathan ?

Gueule d’enterrement. Les cheveux de Koupaïa sont gras, ce n’est pas bon signe.

-Ecoute… Il… il est stable

-Stable ?! Notre fils est stable ? Ca veut dire quoi, tu reprends le jargon des toubibs

à ton compte ? Ou des profs ? Tu veux dire qu’il a la moyenne ? Ses notes sont stables ?

Ou stable comme « écurie », en anglais ? Il est à l’écurie ? Accouche, s’il te plaît !

Koupaïa ne s’attendait pas à un tel réveil…

A croire que le divorce est au bout de la perfusion !

-Et puis, reprend Joss, décidément très excité, c’est quoi ce poste ? Tu ne peux pas savoir

comme c’est horrible de se réveiller dans ce pays décadent avec les voix de ces putains

de chroniqueurs désespérants comme la mort ! Tout est DÉJÀ passé à la moulinette

dans ma vie, qu’est-ce qu’ils veulent de plus ? (Il ose dire ça alors qu’il est propriétaire,

attends, propriétaire d’une belle longère !). M’annoncer que je n’ai plus qu’à me tirer

une balle dans le crâne ? Tu parles qu’ils vivent bien, ces types, je suis sûr

qu’ils roulent des mécaniques en sortant du bureau sur leur boulevard parisien

en humant la bonne odeur de pollution, l’égo remonté comme un pendule parce

qu’ils se la touchent pas mal à la radio même si ça ne s’entend pas !

Joss croit tirer sur le câble d’alimentation du poste, il tire sur sa perf’…

« Bip bip bip ! »

 

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