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B u h e z  U r  V a l a f e n n
migrations
10 novembre 2023

Réfugiés irlandais en Bretagne : du mythe à la réalité (méconnue) au 17e siècle

 

Pettie_-_Jacobites,_1745

Il est des ouvrages atemporels, de ceux sur lesquels on tombe par hasard et qui vous interpellent comme l'évidence. Vous le parcourez avec une certaine avidité en vous disant : "C'est ce que je cherchais, depuis des lustres !"

Dans mon cas, cet ouvrage apporte des réponses à une question qui me taraudait depuis longtemps au sujet de la Bretagne. Comment se fait-il que l'on entende régulièrement des Bretons vous dire qu'ils descendent d'Irlandais mais sans jamais obtenir d'eux des précisions tangibles ? Cette ascendance reste vague, comme une sorte de légende. Au fil de mes questionnements et de mes rencontres (je vous rassure, je ne suis pas un fétichiste exclusif de cette question) j'ai obtenu parfois des réponses, mais je restais sur ma faim. Tel "Collin" ou "Colin" descendrait d'Irlande. Un féru d'histoire locale du nom de Brien(d/t ?) de la région de Ploërmel m'a dit un jour descendre d'un O' Brien. Des Roussel (ou Rouxel) du pays vannetais m'ont soutenu descendre d'un Russel de la Verte Erin. Mais personne n'était en mesure de me citer un ancêtre direct.

Alors, mythe ou réalité ?

Le mythe est d'autant plus tenace que les migrations irlandaises en Bretagne reflètent plusieurs réalités, plusieurs temporalités devrais-je dire. Les ouvrages d'histoire évoquent tantôt les grandes migrations du Ve/VIe siècle (avec ses fameux saints évangélisateurs) tantôt la grande famine du XIXe siècle. Et puis, parfois, aussi, les migrations des Jacobites, au XVIIe, sur fond de guerre de religion entre Anglais protestants et Irlandais catholiques. 

Et voilà que cet ouvrage apporte un fourmillement d'éclaircissements sur ce qui aurait bien pu être la plus importante vague de migrations venant d'Irlande en Bretagne : Les Réfugiés Irlandais au 17ème siècle en Bretagne de Patricia Dagier.

Le livre date de 1999 et a été enrichi en 2016. L'auteure a signé quelques remarquables ouvrages comme Les réfugiés irlandais au 17ème siècle en Finistère, Jack Kerouac. Au bout de la route… (en collaboration avec Hervé Quéméner), Les cousins bretons du Manitoba (en collaboration avec Patricia Joncour)... 

Dans Les Réfugiés Irlandais au 17ème siècle en BretagnePatricia Dagier a épluché les registres paroissiaux. Elle y rappelle en préambule : "Si les registres paroissiaux du 17ème et du début du 18ème siècle constituent l’essentiel des sources utilisées pour la réalisation de ce travail, il a été possible de compléter ces données grâce aux archives de la série B du Finistère et à celles contenues dans le fonds constitué par Henri Bourde De La Rogerie, fonds conservé aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine sous les côtes 5J70 à 5J75. Certains documents relevés par ce dernier alors qu’il était directeur des archives à Quimper à partir de 1897, avant d’occuper la même fonction à Rennes en 1912, ne sont en effet plus consultables soit parce que les originaux ont disparu soit parce qu’ils sont en trop mauvais état. Quelques données concernant des Irlandais arrivés au cours du 18ème siècle figurent également dans cette étude. Des "Hibernois" du Morbihan, des Côtes-d’Armor, d'Ille-et-Vilaine et autres points de Bretagne y sont également mentionnés."

Voilà pour la méthode de cet ouvrage décidément passionnant.

Le résultat de cette riche compilation, c'est une synthèse très instructive suivie d'un inventaire paroisse par paroisse de la présence irlandaise au XVIIe siècle et au début du XVIIIe (avant les révoltes jacobites puis pendant).

L'apport irlandais a été significatif. L'auteure rapporte les propos d'Henri Bourde de la Rogerie qui estima qu'environ 19 000 Jacobites débarquèrent rien que dans les trois villes de Brest, Morlaix et Landerneau entre le 3 janvier 1691 et le 6 juin 1692*. C'était sans compter le fait que cette émigration irlandaise en Bretagne a débuté bien avant. Patricia Dagier cite ainsi l'assemblée des États de Bretagne, réunie à Tréguier en 1607. Il y est déclaré déjà : "(...) Le pays est chaque jour rempli d'étrangers irlandais, tous mendiants... il y en a tant d'eux maintenant qu'on ne peut plus voir autre chose dans les villes et villages du plat pays... Ils incommodent les pauvres gens, les obligeant à les loger jusqu'à ce qu'ils usent de violence..." (Archives départementales d'Ille-et-Vilaine. C 2647 12.11.1607). Un document rédigé en 1666 et intitulé « Etat et Roolle des Irlandais catholiques habitués de la Province de Bretagne » vaut aussi le détour. Il est conservé aux archives du ministère des Affaires étrangères (Mémoires et documents, Fonds France, Manuscrit 1508, folios 329-336). Il recense les noms d'environ 200 émigrés, certains avec leurs professions, nombre d'enfants et même quelques anonymes.

Au fil des décennies, ces Irlandais (ou Hibernois, donc) ont connu des fortunes diverses, relate Patricia Dagier. Certains sont morts dans la misère, en particulier des enfants en bas âge, d'autres sont repartis en Irlande ou dans d'autres provinces. Mais nombre d'entre-eux ont fait souche et se sont rapidement mélangés aux autochtones. Avec même parfois des réussites fulgurantes car certains émigrés étaient qualifiés, en particulier dans les métiers du Droit (notaires), du commerce. Il y eut aussi des écclésiastes. L'auteure pointe d'ailleurs en filigrane à plusieurs moments de son ouvrage un décalage entre la perception de ces émigrés irlandais par les autorités elles-mêmes (des mendiants qu'il convient de chasser, en substance) et l'accueil beaucoup plus favorable fait par la population. Les exemples d'enfants irlandais adoptés ou parrainés sont légion. Il convient vraiment de s'attarder sur les pages qui, paroisse par paroisse, relatent les heurs et malheurs de ces ancêtres avec leurs noms, prénoms, et parfois informations sur les circonstances de leur arrivée, de leur accueil par la suite...

L'apport irlandais a été en particulier important en Finistère (surtout dans le Léon) mais aussi dans le Morbihan (notamment à l'ouest et dans le nord-ouest du département), les Côtes d'Armor, le nord de l'Ille et Vilaine. On découvre ainsi que certains Le Roux descendraient de Rourke. Que les Cléry, Dillon, Angelin, Séchan, Quéran, Meller, Coattelan ou Connor sont aussi à rapprocher d'ancêtres irlandais, souvent Jacobites. Et que, plus étonnant, il en serait de même de certains Le Borgne et Le Born, à rapprocher de Bourne/Bourn.

Le lien pour parcourir cet ouvrage en ligne est ici. Mais n'hésitez pas aussi à l'acquérir chez votre libraire préféré, il n'est jamais trop tard pour bien faire, et bien lire !

* Cette vague d'Irlandais catholiques en France fait écho au mouvement inverse. Moins d'une décennie plus tôt en France, à la suite de la révocation de l'Edit de Nantes, des dizaines voire centaines de milliers de protestants (les fameux Huguenots) ont fui la France (quand ils n'ont pas accepté d'abjurer de force pendant les années 1681-1685) pour l'Angleterre, Jersey, la Hollande, le Canada, l'Afrique du Sud, etc. 
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15 juillet 2017

D'où viennent les Bretons ? - édit 2017

 

celtes-d'où viennent les bretons

Les derniers commentaires sur cette note, qui est l'une des plus consultées au demeurant depuis 2006 (voir également en rubrique "Ethnologie" Origine des Bretons) amène à rouvrir les débats et la discussion en vue de réamender le texte, le cas échéant. Avis à tous les fins connaisseurs, à commencer par J.-C. Even, qui a rouvert la question. N'hésitez pas à confirmer ou infirmer point par point :

 

D'où viennent les Bretons ? Combien étaient-ils à leur arrivée en Armorique ? Pourquoi et comment sont-ils arrivés en Armorique ? Une part de mythe demeure sur ce qui a été indiscutablement l'un des plus importants mouvements d'immigration en Europe au cours du premier millénaire. Un mouvement original et pacifique, qui s'est étalé dans le temps, sur des siècles.

Allons tout d'abord à la source. Installés dans les îles britanniques à la veille des premières grandes migrations en Armorique, les Bretons descendaient eux-mêmes de tribus celtes continentales, selon toute vraisemblance installées dans l'actuelle Belgique. Mais si l'on veut remonter encore plus loin, il est également fort vraisemblable que ces mêmes tribus celtes provenaient d'un triangle allant du sud de l'Allemagne à la Suisse en passant par l'Autriche : c'est là que se situait le noyau primitif même des Celtes (civilisations de Hallstatt et civilisation de la Tène), eux mêmes descendants de l'une des branches indo-européennes... D'Asie, donc.
S'agissant de l'Armorique, celle-ci était essentiellement peuplée avant l'arrivée des Bretons de tribus gauloises, telles les Osismes, les Coriosolites ou encore les Vénètes. Plus ou moins romanisées, ces peuplades celtes avaient elles-mêmes développé des liens commerciaux ou guerriers avec les îles britanniques : après la révolte et la défaite des Vénètes en 56 av.J.C, des Armoricains s'embarquèrent en effet vers l'île de Bretagne. Ces précisions ont leur importance, car elles préfigurent et expliquent en partie pourquoi l'arrivée des Bretons, ce mouvement d'immigration massif, s'est produit pour l'essentiel pacifiquement, par assimilation.
L'arrivée des premiers Bretons. Contrairement à une idée reçue, l'arrivée des premiers Bretons en Armorique, à la fin du IVe et au Ve siècle, dut beaucoup aux Romains, qui recourirent aux Bretons afin de protéger le littoral nord de l'Armorique et donc de défendre les côtes de l'Empire romain contre les pillards saxons et peut-être irlandais.
Ce flux d'immigration, contrôlé, encadré, préfigura un autre mouvement d'une toute autre ampleur, qui se produisit entre les Ve et VIIe siècle. Ce mouvement dut davantage, dans un premier temps, aux menaces d'invasion des Pictes de Calédonie (actuelle Ecosse) et des Scots d'Irlande qu'à celles des Angles et des Saxons.
Confrontés à l'invasion des Pictes et des Scotts, les Bretons décidèrent en effet de recourir à des mercenaires du Jutland (actuel Danemark). Seulement voilà : peu loyaux, les Jutes se retournèrent contre les Bretons et s'allièrent à d'autres tribus germaniques, qui les rejoignirent dans leur invasion des îles britanniques : les Angles et les Saxons. Les premiers occupèrent rapidement la côte nord-est de l'actuelle Angleterre (East Anglia), tandis que les seconds envahirent l'actuel bassin de Londres (d'où les noms de Sussex et d'Essex, par exemple).
La poussée anglo-saxonne. Les Bretons furent chassés et acculés sur la côte ouest de l'île de Bretagne, en Powys et Gwent (Pays de Galles) et en Domnonée (Cornouailles et Devon). Concentrés sur un plus petit territoire, les Bretons se trouvèrent à la fois menacés et confrontés à un problème de surpopulation. Cette poussée des Angles et des Saxons se traduisit ainsi par de nouvelles vagues de migrations, effectivement beaucoup plus importantes.
Une fois de plus, ce mouvement ne fut nullement anarchique et désordonné. Il s'agissait véritablement de troupes (ou de boats-people !) qui arrivaient à intervalles réguliers chez leurs compatriotes déjà fixés en Armorique avec femmes, enfants, chefs politiques et religieux (les fameux saints bretons). Ils achetaient des terres ou négociaient leur cession. Leur accueil était facilité par la présence d'autres Bretons, donc, mais aussi par les autochtones gaulois, qui présentaient des similitudes évidentes, tant linguistiques que culturelles. Bretons et Gaulois parlaient d'ailleurs des langues appartenant au même groupe de langues celtiques : celles du groupe brittonique ou p-celtic (par opposition au groupe gaëlique ou q-celtic).
Des nuances de peuplement. Si l'origine des Bretons est grosso modo bien connue, il est intéressant de rappeler que le peuplement par les Bretons s'est fait différemment selon les régions d'Armorique.
Ainsi, le nord de l'Armorique (notamment le Trégor) a-t-il été massivement peuplé par les Bretons de Domnonée (actuels Devon et Somerset), au point de lui transmettre son nom. Il en va de même de la Cornouaille (sud Finistère), massivement peuplée par les Bretons de Cornouailles britannique.
Les Bretons de l'actuel pays de Galles, de leur côté, ont plutôt peuplé le Léon et le pays Vannetais. A noter d'ailleurs la particularité du pays Vannetais, où le mouvement de migration n'a pas totalement submergé les autochtones. C'est d'ailleurs la principale explication de la différence linguistique du Vannetais. Si les trois dialectes bretons dits KLT de Cornouaille, du Léon et du Trégor sont proches, le Vannetais diffère sensiblement : notamment parce que le Vannetais est plus proche du gaulois. Les Vénètes y ont davantage imprimé leur trace que les autres peuplades gauloises d'Armorique, plus faibles.
Quelle fut la proportion d'immigrants dans la population (...) ? Les historiens peinent à quantifier la proportion d'immigrants bretons. Le débat n'est d'ailleurs pas clos sur cette question. Mais certains historiens avancent toutefois le nombre d'environ 30 à 50 000 immigrants bretons des îles britanniques entre les Ve et VIIe siècle. Ce qui est considérable. Car on peut estimer à l'époque la population de l'actuelle Bretagne à environ 100 000 âmes. Dans la moitié ouest de la Bretagne, le nombre d'immigrants a donc selon toute vraisemblance supplanté celui des autochtones, en particulier en Domnonée et en Cornouaille.
Il n'en reste pas moins que les bretons ont également peuplé l'est de la Bretagne, notamment jusqu'à une ligne allant du Mont-Saint-Michel aux portes de Nantes, mais il est vrai dans une moindre proportion et parfois par îlot. Ainsi, des zones ont été assez fortement peuplées par les Bretons, telle la presqu'île de Guérande et la région de Dol et Saint-Malo.

Force est donc de constater que la Bretagne est largement peuplée d'immigrés, auxquels il convient d'ajouter d'autres vagues d'immigration, notamment irlandaises (lors de l'évangélisation de la Bretagne puis, beaucoup plus tard, lors de la grande famine du XIXe siècle).

>Lire aussi : http://breizhblog.canalblog.com/archives/2017/11/04/35836260.html

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