A LA BARBE DES PAPARAZZI
Je suis sûr que j'aurais pu avoir le World press photo 1995.
Si seulement elle ne s'était pas esquivée au dernier moment.
Nous étions pourtant une meute de rédacteurs-photographes en herbe sur ses traces. Nous avions quasiment cerné le marché de Gimont. Nos professeurs nous envoyaient là en reportage pour faire jaillir sur le papier et la pellicule les saveurs, les humeurs, l'ambiance rustique et savoureuse de ce haut lieu du foie gras gersois.
Mais très vite, nous focalisâmes nos objectifs sur une quête plus prometteuse. Elle était là. Comme surgie du révélateur.
C'est que son apparition changeait tous les paramétrages. Eclipsés, les étals soudain si fades. C'est elle et elle seule qu'il nous fallait éterniser.
Dès lors, la compétition s'engagea, férocement. A celui qui ferait le premier la netteté sur son regard. Nous avions beau nous dire qu'il pouvait y en avoir pour tout le monde, que le premier cliché n'était pas nécessairement LE cliché, absolu, nous engagions une confrontation sans merci. Tacitement, la perspective était claire : le premier à mitrailler la proie sans scrupule remporterait la mise.
Hélas - ou plutôt tant mieux - il n'y eu pas de lauréat.
La meute cynique rentra bredouille. Notre bêtise (quand j'y repense, j'ai honte) nous ayant détournés de notre mission première, il n'y eu pas même de reportage sur le marché au foie gras.
Pourtant, il s'en était fallu d'un poil.
Je l'avais dans mon champ, la femme à barbe de Gimont.