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B u h e z  U r  V a l a f e n n
12 novembre 2017

Daïk, chapitre 27

 

surfeurs bretons

 

lettre typo celtique D

ES IMPACTS D’ASTÉROÏDES ENTRÉS EN COLLISION avec la Terre il y a plus de trois milliards d'années ont fait bouillir les océans comme une marmite. Le résultat de ces impacts a été un tel réchauffement de l'atmosphère - avec des températures de cinq cents degrés pendant quelques semaines et de plus de cent degrés pendant plus d'un an - que la couche supérieure des océans a bouilli sur une profondeur de cent mètres.

Sans cet événement, moins connu que l’extinction des dinosaures, toute l’alchimie de la vie sur la planète Terre aurait été modifiée en profondeur. L’apparition de l’homme doit donc à une série d’interventions extérieures : apport d’exo-molécules par les comètes (comme cela semble se confirmer au travers des missions Rosetta et Philae), bouleversement des équilibres causés par l’impact d’astéroïdes géants… La vie sur Terre est en soi une œuvre extraterrestre.

Rendre visite à de lointains ancêtres ne devrait donc pas être une gageure.

Las, le surfeur délaisse son ondine et dirige Daïk vers son Westfalia bleu et blanc.

-1,6 litre, qu’il lui dit. Il chauffe grave dans les embouteillages, mais à part ça, il est top, franchement, mec, j’adore cette caisse !

Daïk inspecte ce qu’il pense être un char de combat :

-Où sont les chevaux ?, demande-t-il.

-Tu t’intéresses à la mécanique ? Soixante sous le capot si tu veux tout savoir.

-Soixante chevaux ? Eh ben…

-Bah, c’est que dalle.

Modeste avec ça ! Le chevalier possède soixante montures, de toute petite taille. Il n’a jamais vu de cheval de sa vie et s’imaginait ça beaucoup plus grand, en fait, mais peut-être existe-t-il des modèles miniatures, comme des drones, qu’on envoie au devant des combats.

-Pas touche à mon fauteuil, hein ? Bah, de toute façon, tu n’atteindrais jamais les pédales !

Daïk télépathe une traduction incongrue. C’est le problème avec leurs langues terrestres. Il existe toutes sortes de variantes possibles pour un même terme. Leur lexicologie est à elle seule un capharnaüm invraisemblable, c’est Babel et à l’intérieur de Babel :

-Très bien. Viens par là.

Le surfeur désigne son ordinateur portable, posé sur le fauteuil passager central. Daïk, qui a dû escalader pour le voir fait les grosses facettes :

-Je vois ce que tu penses, j’ai oublié de fermer à clef ! Mais t’inquiète, on ne m’a jamais rien volé ici, tu vois. C’est ça la magie du monde des surfeurs. Le vol n’existe pas. Au fait, je m’appelle Benjamin, mais tu peux m’appeler Benji.

-Enchanté, Benji. Moi, c’est Daïk.

-T’as pas trop chaud sous ton costume ?

-Non, c’est parfait.

-Attends. T’as un bout de cellophane qui se décolle, là.

-Hé, pas touche !, éructe Daïk.

-Je te file tes adresses et tu te tires, hein ? Tiens !

Benji lance le site des pages blanches, clique sur Vannes et lance la requête.

-Tu vas les voir de ma part, ils vont être ravis de jouer à Halloween avant l’heure !

Hallo… ween %@&?? ñ?$-(

Qu’est-ce que c’est ce truc encore ? Un piège ? Petite recherche mentale. Halloween, contraction de All Hallow Even ou Oíche Shamhna en gaélique d’Irlande, ou encoreSamhain en gaélique d’Ecosse, terme repris par les Bretons d’Armorique et aussi en Gaule sous le nom de Tri nox samoni. Et voilà, comme un robot érudit et sur-éduqué, Daïk est reparti pour un tour ! Que dire d’autre ? Que de lointains descendants lorrains la célébraient encore avant les deux grandes guerres terriennes. Les Celtes faisaient ribouldingue à l’occasion de la nouvelle année le 1er novembre, lorsque l’hémisphère nord commence à plonger dans l’hiver stellaire, ribouldingue où les esprits des morts pouvaient revenir et hanter les maisons des vivants. Inimaginable dans son paisible univers II !

Benji lui conseille de rendre visite aux onze béleks pour le nouvel An avec ce qu’il prend visiblement pour un costume. Quel intérêt ? Daïk veut remonter jusqu’à l’enfant du druide, comprendre le chant des Séries. Le niver unan, Yeh ! Mais peut-il faire confiance à ce qui lui semble être deux brebis du troupeau égarées ?

Benji n’a pas pipé mot sur ce qui est en train de se tramer sur cette plage et ignore superbement les attaques des Nantais. De trois cents, ils ne sont plus que onze… et le type lui confectionne une liste de onze bélek ! Faut-il en déduire que Benji et Rozenn font partie des deux cent quatre vingt neuf combattants vénètes qui vont se faire exterminer par les armées de César ?

L’extradolescent frémit à l’idée de connaître à l’avance leur triste sort. Saleté d’espace-temps : Benji et Rozenn n’ont pas conscience du danger et de ce qui les attend. Voilà des combattants bien sûrs de leurs forces…

D’un côté, LA LOI, qu’il a du reste déjà en partie enfreinte, lui dicte de rester à l’écart du cours des choses sur Terre, et de l’autre l’envie irrépressible de leur porter secours se fait jour… Il ne peut pas les laisser se faire massacrer comme ça.

-Benji, qu’est-ce que tu fous !, crie la fille.

Il ne peut pas ! Non. Lui encore… Mais la fille… Oh que non ! Daïk peut-il faire en sorte que les onze béleks soient en réalité treize ? Qu’est-ce que cela peut faire ? Est-ce que l’histoire du monde s’en trouverait bouleversée ? Non ! Une femelle peut-elle devenir une bélek comme les autres, est-ce que ça pose fondamentalement un problème ? Non ! Et puis, s’ils s’accouplent, ça fera quoi : quelques centaines ou milliers de descendants supplémentaires par millénaire ? La belle affaire ! Ils sont déjà serrés comme des sardines sur cette planète ! Il paraît qu’ils s’éclatent à faire ça, en plus…

Non. Benjamin lui conseille gentiment de rendre visite aux onze béleks à l’occasion du nouvel An – ils en sont encore bien loin ! – Daïk pense à l’inverse que ça urge et que Rozenn et Benji ne mesurent pas l’imminence du désastre. Il a une carte à jouer dans la destinée des Celtes de cette planète à l’origine de formidables légendes terrestres connues jusque dans le cosmos. Daïk est persuadé qu’il s’agit de ses ancêtres, Seigneur, SES ancêtres, et il sait qu’ils vont se faire laminer !

-T’as pas de portable, j’imagine ?

Cette vieille technologie complètement dépassée ? Oh non, il n’en est plus là, s’ils savaient. Il fait non de la tête.

-Pas grave, je pensais t’envoyer un petit texto, mais je vais griffonner ça sur le revers de mon flyer là, tiens.

Benji lui tend une iconographie avec de jolies femelles en combinaison portant des armes monumentales sous le bras, genre : on-est-ravies-de-partir-au-combat ! Les pauvres, si elles savaient ce qui les attend… Daïk ne pourrait pas toutes les sauver, c’est évident. Et Benji qui arbore les portraits de ses équipières qui vont périr avec lui. Ah… s’il savait lui aussi...

-Misère, murmure-t-il en saisissant l’avis d’obsèques prophétique avec ses pauvres condamnées à mort dessus.

Benji remarque l’attitude hyper-absorbée de Daïk avec ses surfeuses sur le flyer :

-Eh, t’inquiète, mon petit ! Un jour, tu en rencontreras une pareille, va ! Il lui bourre l’épaule d’un coup de coude, à en déchirer sa combinaison primaire. Dis donc, t’es sous le charme, hein ? Je te préviens tout de suite, je n’ai pas leur numéro six, mais j’ai Rozenn, hé, hé. Elle est pas mal non plus…

Benji ferme un œil ostensiblement puis l’ouvre à nouveau. Message sibyllin : Benji se fait Rozenn. Pour tout dire, il s’en doutait un peu ! Etonnant comme l’iconographie officielle n’a retenu que leurs actes de bravoure et quasi exclusivement ceux des mâles. Daïk a la preuve formelle, sous ses yeux, qu’il y avait aussi des combattantes.

Reste que l’heure est grave, la menace imminente. Il les supplie de le rejoindre.

Benji ne comprend pas bien :

-Tu veux quoi ? Qu’on t’emmène à Vannes faire la tournée des Bellec pour fêter Halloween avec six mois d’avance, t’es pas bien ?

-Non, ce que je veux dire… c’est que vous courrez un grave danger. N’y allez pas…

-Où ça ?

-Dans l’oxy… l’hydro… dans l’eau, quoi !

Lasse d’impatience, Rozenn surgit derrière la portière conducteur du Westfalia :

-Bon, Benji, le clapot, c’est maintenant !

-Il ne me lâche pas d’une semelle.

-Tu ne vas pas te laisser ch… dans les palmes par ce gosse ?

-N’y allez pas ! Vous courrez à votre propre perte, crie Daïk.

-Qu’est-ce que tu nous conseilles de faire, alors ? Un bal masqué ? On a assez joué comme ça. Décampe ! Tire-toi.

-Va embrasser tes Bellec de Vannes pour nous !

 

Et ils courent à leur perte.

Fiers comme des perdants.

Tant pis pour eux !

Daïk est triste. Il dessine deux petites croix sur la plage :

 

† †

 

… et il s’en va.

Il part vers les derniers des combattants vénètes, puisque le destin semble inaltérable.

Les mortels restent des mortels. Ils ne veulent pas se donner la peine... De toute façon, ils n’ont jamais fait de l’immortalité l’assurance-vie de leur race, préfèrant se reproduire !

Daïk ne peut rien pour eux. Les Nantais vont les exterminer !

Daïk erre sur la plage, remonte la dune, puis traverse de nouveaux bouquets de plantes hostiles, aussi revêches que ce peuple dépassé par tous les conflits qu'ils ont créé entre les êtres et les espèces.

Ils sont perdus à jamais, pris dans les tenailles d'Eros et Thanatos. Impossible pour eux de regarder leur destinée avec un peu de recul !

 

Papa, maman, sachez que je me sens bien seul, ce soir, sur Terre…

Je n’enfreindrai pas la Loi, non par désir mais par fatalité.

Ces êtres sont prisonniers de leur destin, ils courent à leur perte.

Je vais partir au devant des onze béleks de Vannes, peut-être les ultimes représentants du royaume de Bel.

Tous les autres sont perdus.

 

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