Daïk, chapitre 26
ANS LA RÉGION, LES RIVERAINS SONT HABITUÉS AUX TIRS de canon
qui s’entendent des kilomètres à la ronde. Cela fait partie du paysage.
Les campagnes de tir sont peu fréquentes. Peut-être trois ou quatre
jours par mois hors période touristique aux heures de la sieste des
enfants... L’armée a ses plages chasse gardée. Tout près de là, la
Direction générale à l’armement occupe un bâtiment étrange qui ressemble à un
sous-marin planté dans le sable à l’entrée d’un isthme pas déplaisant menant à un joli
petit port de pêche.
Mais là tout de même, c'est inattendu : Daïk est tranquillement installé au bord de l’eau,
Il contemple la mer d’oxygène hydrogéné, avec un zeste de soufre,
de calcium, de chlore, de sodium, de brome, de magnésium et de carbone, de la
même manière qu’il contemple d’ordinaire sa planète gazeuse comme un légume,
immortel d’ennui, et là, soudain, surgit une machine de guerre qui lui tire dessus !
-OK, nous y voilà. Je vois à qui j’ai affaire ! Ils m’ont repéré !
Il bondit derrière les ganivelles sur la dune. A côté, un autre panneau représente
un être humain marchant avec un bâton à la main.
Daïk croit comprendre : seuls les combattants ont le droit de venir ici
avec leur gourdin !
L’extradolescent est bien au pays des Vénètes, peut-être du temps de César,
il n’a pas pris le temps de vérifier. Où sont les druides ? Ont-ils déjà levé le camp ?
Les vaisseaux ennemis venant de Nantes, en voilà un ! Malheur à vous !
Daïk doit prendre la direction de Vannes et trouver les onze béleks avant qu’il ne soit trop
tard, le tourisme attendra !
Il s’élance entre les oyats et les spirantes dans la dune vive, piétine sans vergogne
de rares tétragonolobes siliqueux couleur or. Ses pas s’enfoncent dans cette matière
tiède et informe qui s’étale, à perte de vue, devant lui, parsemée de plantes
stupides et inutiles qui lui lacèrent les mollets fémoraux à travers sa combinaison
espace-temps. Une saleté d’ivraie du Portugal vient lui déchiqueter sa rétro-combinaison
étirable, la grosse gerbe de Lolium parabolicae Sennen lui pique sa peau satinée
(et imberbe) jusqu’à l’entrejambe asexué provoquant une quinte de fou rire inattendue,
il n’avait encore jamais ressenti ça ! Et là, soudain, devant lui, surgit un groupe
de jeunes humains avec une planche en forme de soucoupe elliptique sous le bras.
Un mâle puissant et une femelle aux cheveux jaunes et filandreux comme
un tétragonolobe recouverts d’une fine pellicule d’oxygène et d’hydrogène toute
dégoulinante lui font face. Daïk se terre derrière ce qu’il pense être un char à feu
en forme d’œuf stationné sur la lande. Pourquoi prennent-ils cette direction ?
Vont-ils s’opposer aux vaisseaux venant de Nantes ? Par déduction, ces deux individus
étrangement armés doivent être des combattants de Vannes avec leurs épées brisées.
Vannes ! Où est-ce au fait ?
Deux indices l’interpellent : leurs robes ne sont pas ensanglantées et ils ne portent pas
de béquilles ! Daïk hésite à enfreindre la Loi. Furtif comme un astéroïde, il se poste
au devant d’eux, près des ganivelles qu’il prend pour des palissades. Peut-être un vestige
d’un ancien village gaulois aujourd’hui englouti ou une réplique d’un mur de fortification,
une frontière avec le royaume des morts...
Il doit les faire parler ! Vivants, c’est mieux.
Ils sont sans nul doute du côté des fameux druides en déroute.
Daïk prend son courage à quatre mains et s’approche du couple en train de bavarder
avec leurs étranges lunettes vissées sur le crâne comme si leurs yeux leur sortaient des
cheveux. Ils disent qu’ils vont rider les vagues.
« Rider » ? Tsssst. Ce terme est inconnu dans la langue des Vénètes !
Daïk entre en télépathie avec son bocal terrestre en quête d’une traduction adéquate.
Vite, vite ! Ah ! OK. Il s’agit soit d’un terme de langue française sous-entendant
qu’ils vont vieillir la peau des vagues soit d’un terme de langue britannique,
celle qui est parlée du côté de chez les Bretons insulaires (depuis qu’ils se
sont faits submergés par des Angles, des Jutes et des Saxons) et qui signifie
chevaucher. Mouais. Etonnant qu’ils utilisent des mots étrangers,
mais ce sont probablement des chevaliers vénètes tout de même !
Et puis, leurs cheveux longs et leur allure téméraire correspondent bien
aux iconographies en vigueur, il n’y a pas de doute là-dessus. Reste à savoir
où sont passés les autres : de trois cents, ils ne sont plus qu’eux onze…
Ces deux là font sûrement partie des ultimes survivants !
La machine de guerre venue du ciel fait un nouveau détour. Des tirs de canonnades
retentissent. Ni une ni deux, Daïk jette un hypno-rush sur les deux cavaliers-navigateurs.
Leurs cheveux se figent. La fille en perd sa chaussure dans l’océan de particules
de roche désagrégée, de quartz, de micas et de feldspaths mâtinés de débris calcaires,
de coquillages et de corail. Daïk s’approche d’eux et plonge ses yeux à facette dans les leurs :
-Daik, mab gwenn drouiz ore, Daik, petra fell dit-te ? Petra ganin me dit-te ?
Kan din eus-a ur rann, ken a oufenn bremañ…
- ???
-COMPRENEZ-VOUS LA LANGUE DES DRUIDES ?!
-Oh, doucement petit !, fait le surfeur décoloré.
-C’est du breton, lui dit la fille en posant son bonzer. Salud dit ! Aloha !
-Moi, le breton j’aime bien comme ça, mais à part chouchenn, kenavo, a-dreuz,
mor bihan ou quelques trucs dans le genre, répond le faux blond.
Daïk se tait et se compose une posture inspirée. A force de regarder les humains dans son
bocal, il a tout de même appris quelques mimétismes de circonstance :
-Je vois, je vois.
Ils disent souvent ça. En fait, il ne voit pas grand-chose sinon que l’hypnose sur les humains,
ça marche moyen. C’est parce qu’ils sont mal dégrossis. Il tente une autre approche
avec un copié-collé de voix humanoïde :
-Quel est le chèfe de votre tribuuu ?
-Mouahahaha l’autre ! Allez, enlève ton costume d’extraterrestre
sous cellophane ! T’as perdu tes parents ?
Le ton irrévérencieux n’est pas fait pour déplaire à Daïk. En fait, ça lui rappelle
celui de ses jeunes congénères, comme sa cousine née d’une resucée de gênes
prélevés sur ses grands parents. Pas de chance, c’est le seul membre de sa famille,
parce que les manipulations génétiques, c’est tout de même hors de prix...
Il paraît que se reproduire est encore gratuit sur Terre.
Toujours le mot pour rire. Tu veux que j’enlève mon costume ? Tu ne vas pas être
déçu, l’humain ! De toute façon, je porte un revêtement anti-UV parfaitement
adapté à la composition et à la pression de votre atmosphère saturée d’humidité.
Mais enfreignons la loi jusqu’au bout. Ils vont l’avoir, leur attentat à la pudeur !
Daïk déchire son film déjà lardé de griffures faites par ces satanées plantes
qui lui piquent l’entrejambe.
Il dévoile une autre pelure, bleu nuit.
La fille fait des yeux éberlués :
-C’est bon, c’est bon, dit-elle. Arrête ton bikini contest. Garde ton intégrale !
Seigneur, ils ne sont pas sous hypnose ! Ca ne fonctionne pas ! Ils se disent simplement
qu’il est… costumé. Comme s’il était des leurs ! Daïk renonce à se déshabiller.
Il opine du chef :
-OK, vous m’avez reconnu ! Je suis un enfant du pays !, tente-t-il.
-Ouais, bien sûr, le villageois ! Bon, mon petit, on va y aller, d’accord ? Parce que là,
c’est le moment d’y aller. Il y a un méchant clapot aujourd’hui et on ne voudrait pas
rater ça !
Puis, se tournant vers l’ondine, il lui dit :
-La vache, il est carrément deep inside, ce gosse !
-Ouais, grave !
Et ils s’éloignent vers l’océan…
-Hé ! Attendez ! J’ai juste un truc à vous demander ! Hého !
Tout en dodelinant des fesses, l’ondine fait claquer un mouvement de la main
comme pour dire : « lâche l’affaire. » Mais Daïk ne se démonte pas, court après eux,
manque de s’affaler dans la poudreuse des mers. Le surfeur finit par interrompre la marche
de sa comparse du bout des doigts, se retourne, raide comme un passif agressif :
-Quoi encore ? Va jouer au bac à sable, OK ? Tu nous lâches maintenant !
-Juste que… Je voudrais vous dire que… Les Nantais ! Les Nantais attaquent !
-… Les Nantais ? Mais bien sûr ! Ouiii, les Nantais… Où t’as vu qu’il y a de la compète
dans l’air ici ? Crétin, on est seul, il y a personne aujourd’hui !
-Il fume ou quoi ?
-Grave ! C’est pas un truc de ton âge, Mars Attack !, envoie la fille.
Pantelant, Daïk tente alors, comme une désespérance :
-Je veux juste savoir où sont les vôtres ? Dites-moi juste où sont partis les onze béleks
et je vous jure que je vous laisse tranquille ! Je cherche les onze béleks de Vannes !
-Les onze Bellec ? Rozenn, t’en connaitrais pas, toi, des Bellec, par hasard ? Ca ne manque
pas par ici...
-Si, Joss et Koupaïa. Mais ils ne sont pas onze ! Sauf en comptant leurs cousins,
remarque…
-OK, fait le surfeur. Il veut les Bellec de Vannes ? Il va les avoir !
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*Avec même d’authentiques bretonnants de comptoir, parce que c'est souvent là que l'on découvre ses premiers bretonnants en chair fraîche.