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B u h e z  U r  V a l a f e n n
27 septembre 2017

Daïk, chapitre 17

lettre typo celtique C

 

ONVERSATION INATTENDUE, DÉROUTANTE.

Robert Smith se pique de découvrir

les jeux de mot en langue française.

Tout à son affaire, excité comme une puce,

il bondit de sa porte fermière en ce petit matin

de printemps, un bob sur la tête :

-Hey, les Frogs, je tiens mon premier jeu de mot en français !

-Hé, you’re scary this morning !, dit Joss encore hagard, sourcil en pointe.

(Il s’attend au pire).

-Vous savez comment on appelle un fonctionnaire en France ?

-...

-Un dysfonctionnaire !

-.

Et monsieur a trouvé ça tout seul. Il opine du chef, comme les Anglais savent si bien le faire.

Traduire, il jubile.

-D’ailleurs, demande-t-il, quel est l’origine du mot « fonctionnaire » ?

Est-ce lié à la fonction ou au fait qu’ils sont censés faire fonctionner le pays ? Nous,

en Angleterre, on parle de civil servant.

-Je vois, le rapport sémantique à la chose publique est en effet

très différent : les fonctionnaires seraient-ils vos esclaves ?

-Non, ce sont nos serviteurs ! La notion de service prime. Chez vous, la notion

de « fonctionnement » ou de statut prime. On ne sait pas trop lequel des deux prime, en fait.

-En France, on parle de fonction publique depuis des lustres. Tu me poses une question,

là. Quelle est l’origine du mot fonctionnaire en France… Allez, je suis

trop bon : entre. On va regarder dans le dictionnaire.

Robert pénètre de bonne grâce, salue la fille de Joss en train d’étaler

sa morve toute fraîche sur le miroir simili-renaissance du salon. Joss farfouille

dans les innombrables étagères qui donnent une illusion de grandeur intellectuelle

à leur humble demeure post-plouc. Là ! En voilà un qui menace de choir sur sa fille, ce qui lui

apprendrait un peu à maîtriser ses sécrétions, la grande affaire de sa vie.

-Fonctionnaire… fonctionnaire… Voyons voir :

 

A l’origine, désigne toute fonction – ah, déjà – confiée par le roi à un particulier

rémunéré  par des gages et des taxations attachées à chacune des opérations

qu’il accomplit. On parle aussi d’officier. En 1604, l’édit de la Paulette (???) consacre

le caractère patrimonial et héréditaire des offices contre le versement

d’un droit annuel et d’un droit de mutation à l’Etat.

 

Les yeux de Bob s’illuminent. Joss sait ce qu’il pense : que les révolutionnaires

sont de parfaits hypocrites qui n’ont pas bien masqué leurs crimes...

D'ailleurs, l’ancien régime n’est jamais très loin dans leurs placards encore remplis

de macchabés mal décomposés. Il suffit de gratter un peu le vernis républicain pour découvrir

l’ampleur du simulacre de remises de têtes... en guise de compteur à zéro.

Bob dit avec l’accent d’Oxford :

-Mais pourquoi avez-vous coupé toutes ces têtes ?

-T’occupe, ce sont nos affaires. Et puis, de toute façon, moi… je serais plutôt un girondin

à la base, tu vois.

-Girondin ? You mean from Bordeaux ?

Joss ne va pas lui expliquer la Révolution française dans le détail à cette heure,

tandis que fillette s’attaque aux rideaux. A chaque jour suffit sa peine !

-Robert, on va en rester là, tu veux ? Il y a eu les ultra-révolutionnaires - les Montagnards -

et il y avait les autres, un peu tièdes, ‘ limite ils auraient supporté une monarchie

constitutionnelle à l'anglaise...

-Tu es des nôtres alors !, fait Robert, ému comme un ivrogne par cette révélation.

Joss a toujours trouvé ces élans suspects venant de ses voisins perfides !

Cette accolade lui fait le même effet que contempler son jardin parsemé

de canettes de bières...

Malgré tout, Il l’aime bien, son Robert Smith, ça le change un peu de ses compatriotes

contemporains. Le Français n’aime pas toujours ses étrangers, mais il les préfère encore

à ses congénères...  Bienvenue chez les fous !

 

Robert revient à son jeu de mot, allusion à peine déguisée à ce qu’il pense

de la France, « le pays du dysfonctionnement », sauf qu’en même temps, il ne fréquente

plus les services publics britanniques et se garde de le reconnaître...

-Tu sais ce qui me chagrine surtout, se justifie-t-il, c’est le passage entre

la fonction publique et la politique dans votre pays. Chez nous, un fonctionnaire

qui fait de la politique ne peut pas retrouver son fauteuil de fonctionnaire après une défaite.

En France, si. Dans notre pays, le fonctionnaire doit démissionner s’il veut se présenter devant

les électeurs !

-Mais oui, bien sûr, Bob, je suis entièrement d’accord avec toi...

-Mais pourquoi ne changez-vous pas les règles si vous êtes tous d’accord avec nous ?!

-Robert, tu sais c’est quoi ton problème ? Tu n’as pas bien compris.

Nous sommes en France. Tout le monde sait ce qu’il faudrait faire pour démocratiser

nos institutions, mais personne ne veut toucher à Marianne d’un pouce. Cette femme

est intouchable ! C’est une icône conservée dans son formol, pigé ? J’ai mis du temps

à le comprendre, mais réformer ce pays, c’est comme vouloir violer Marianne,

tu saisis ? Apprends à aimer cette femme telle qu’elle est. Elle a ses défauts, certes,

mais elle est terriblement sexy. Ne trouves-tu pas ses paysages terriblement sexyyyy ?

Eh bien, pas touche à Marianne. C’est tout.

 

  

-Mais la Terre tourne !

-Vous êtes trop pressés, vous autres Anglo-saxons ! Vous nous stressez. Vous savez quoi ?

Plus vous vous réformez et plus vous risquez de retourner illico à la case départ et alors,

eh bien notre archaïsme reviendra à la mode et on vous repassera devant ! Hé, hé, hé !

C’est ça, le principe ! (Jos pousse un rire démoniaque). La Terre tourne et revient à son point

de départ, toujours !

-This is so absurd ! Je crois que j’en ai trop entendu pour aujourd’hui !, clame Robert

avec une voix étouffée, comme s’il s’essuyait la bouche avec sa serviette après un repas

trop copieux.

-C’est le but, dit Joss, sourire perfide aux lèvres, d’épuiser les esprits

pour mieux les soumettre au charme à la française.

Et voilà. Le tour est joué, Josselin a fait son parfait VRP français, lui le breizhou.

Le pire, c’est qu’il s’inscrit lui-même en faux avec cet immobilisme galopant,

rampant, sous-jacent, permanent, bref, épuisant. Mais il croit tout de même que,

par ce dialogue à brûle pourpoint de bon matin, il a un peu mieux compris le mode de

dysfonctionnement de son pays…

 

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