Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
B u h e z  U r  V a l a f e n n
2 octobre 2017

Daïk, chapitre 19

 

lettre typo celtique I

 

NANIMÉ, NATHAN FLOTTE DANS LES DOUVES

de son château tel le Dormeur du val.

Ses parents ignorent encore ce qui

se trame à cet instant. Koupaïa

fait défiler sur le net un ramassis de têtes

décaties du monde sur le mode les 25 pires ravalements de façade.

-Tu sais que j’avais écrit un truc dans le genre, un jour : Cinq trucs inavouables,

fait Joss, encore à mille lieux d'imaginer la réalité.

-Hum, répond-elle.

La belle n’a pas envie de savoir ou feint d’avoir déjà entendu son récit

circonstancier sur ses séries d’idioties inavouables... Pas les pires ignominies de sa vie,

non, mais plutôt des conneries du genre :

1. Etudiant à Nantes, Joss avait l'embarras du choix pour faire ses courses dans son quartier.

Indifféremment, il allait à une supérette ou à une autre... jusqu'à se rendre compte

qu'elles ne faisaient qu'une !

2. Son dernier job en date a été journaliste ; son premier job étudiant

éboueur (véridique).

3. Joss s’est mouché dans le Stars and stripes du fils d'une

famille d'accueil américaine tellement il le saoulait avec son inconditionnel

chauvinisme infantile. Ce petit branleur ne l'a plus bassiné une seule fois

du séjour après cette profanation...

4. Joss est co-fondateur de la Confrérie des mangeurs de flans qui a sévi essentiellement

pendant leurs révisions de baccalauréat. Avec ses camarades de classe, ils tiraient

les rois en plaçant dans ledit flan la plus infâme saloperie ramassée par terre.

Crachat autorisé.

5. Etudiant, Joss excella dans la cuisine à l'huile. Saucisses à l'huile, steaks à l'huile,

pâtes à l'huile... La technique s’avéra excellente pour dégoûter sa femme à vie.

Elle ne lui demanda plus jamais de lui faire à manger.

Voilà, le genre de trucs... Et Joss ose critiquer les Anglais !

-On appelle ça de la junk-culture, chérie, dit-il en contemplant son site

web mercantilo-érotique. Tu es tombée bien bas.

Heureusement qu’elle pratique son humour de merde et qu’il n’a guère plus

de prise sur elle depuis que son psy lui a dit que ce n’était pas de la maltraitance,

juste de la taquinerie pour le fun. Joss exerce désormais ses talents sur ses voisins

Brits avec autant de succès.

 

De toute aussi mauvaise foi, la petite est en train de s’enrouler toute seule

sur son matelas. Sa couette a volé depuis belle lurette.

Ambiance de crise… De guère lasse, Joss abandonne Penez Drigent et Gisa

Lerrard à leurs incantations druidiques et file redresser la barre - ou devrait-on

dire la quille ? - de ce qui sert de turbulette à la jeune girl power. A force de se

contorsionner, elle a fini par se prendre les pieds dans les filets : la « turbu »

s’est méchamment enroulée autour d’elle jusqu'à faire des nœuds.

-Tu crois qu’elle capitulera un jour ?

Koupaïa répond par une question :

-A-t-elle une âme de résignée de la vie ?

-J’ai bien peur de subodorer la réponse.

-Subodore, subodore…

Joss la « désentortille » et la libère tout en la sermonnant un peu mollement :

-Tu sais que ce n’est pas comme ça que tu vas t’endormir ?

Mais il manque de conviction. Il la prend finalement dans les bras. Les joues

de Tania sont en feu. On dirait un personnage de bande dessinée, du Marcel Gotlib

ou non, pire : Goossens. Ouais. On dirait le bébé dans Goosens, mais en quadrichromie !

Comme la petite semble inconsolable et que ses parents ne sont pas

des tyrans, il décide de l’emmener avec lui dans le salon en sachant pertinemment

que c’est ce qu’elle cherche. Un bébé est tout sauf con. C’est une affaire de niveau

de conscience, de praxis et de logos, mais pour le reste : TOUT Y EST. Toutes les qualités

et vices inhérents à l’espèce humaine sont réunis dans cette petite boule

de poil sans poils. Les muscles et les nerfs sont bien en place et déjà forts vifs.

Joss sait aussi pertinemment que ce sont bien les bras de sa maman

qu’elle réclame à travers lui. Ben tiens.

-Voilà chérie, ta fille te veut.

Et là, la maman délaisse ses sites subversifs et là, ô miracle,

les pleurs s’estompent comme par enchantement.

Stupéfiant, fait Joss. Vraiment stupéfiant…

Penez Drigent n’a plus à s’égosiller pour couvrir la voix de juniorette

et là, soudain, c’est le silence.

 

*

 

Vingt et une heure trente, il se fait tard. Nathan œuvre à la bougie, parce que

c’est un artiste. En l’occurrence, la bougie a la forme d’un projecteur de jardin

que Joss a eu toutes les peines du monde à installer parce qu’il a convenu de percer

la pierre de la longère. Du granit véritable, foret diamètre dix mille exigé ! Il en a bavé,

il a même cru en mourir et s’est juré que la prochaine fois qu’il auto-construira sa maison,

elle sera en bois !

Sauf qu’il ne le fera pas, hé, car il aime trop son nid à arachnides avec son paysage

de carte postale...

Joss décide d’aller sonner la cloche pour que Nathan délaisse enfin ses œuvres.

Il sort.

Il ignore encore que l’enfant gît dans les douves de son propre château,

comme tombé dans un trou noir...

 

Pendant cet espace-temps, au cœur de la Voie lactée, Daïk a l’impression

de se réveiller après un long somme, assis dans une chaise derrière

une fenêtre donnant sur la mer. La fenêtre est close. Daïk voit des oiseaux colorés

et ultra-haut-fréquencés volant avec de grandes ailes lumineuses sur lesquelles

se reflèteraient comme sur des panneaux voltaïques des milliers et des milliers

d’étoiles. Daïk se frotte les facettes. N’importe quel vaisseau normalement constitué

aurait été pulvérisé par le transbordement. Mais sa capsule a résisté sans le moindre

accroc : sa civilisation est passée maître dans l’art de voyager dans l’espace.

Daïk songe à ses parents, obsédés par la réussite astrophysique et astronomique.

Pour la première fois de sa vie, il se dit qu’ils ont leurs raisons comme ils ont raison

d’insister sur l’indispensable quête d’autonomie, sur la nécessité d’étudier les astres,

d’apprendre à naviguer à l’instinct d’une constellation à une autre. Et

à savoir se repérer en cas de panne sans recourir au moindre instrument de bord.

-Tu comprendras un jour ce que signifie le terme grandir.

-Grandir, justement ! Si vous saviez comme je me sens prêt !

-Grandir ne signifie pas prendre la poudre d’escampette et errer à qui mieux-mieux,

cela veut dire avant tout comprendre les rouages du monde, intégrer les mécanismes

astrophysiques, et alors seulement tu sauras naviguer. La vie est faite d’étapes, fiston.

Tu peux comprendre ça ?

-Oui !

-Oui ?

Enfin… oui et non.

Euh, en fait carrément non !, se dit Daïk quand il ouvre les yeux et voit cette mer

de constellations.

Le spectacle vaut le détour ! Sous ses pieds, un tapis de connexions aussi

folles qu’éblouissantes partant dans tous les sens. Derrière lui : l’immense trou noir dans lequel

semblent plonger et disparaître le bras de Persée, le bras de la Règle et même celui

d’Ecu-Croix du sud ! Et sur sa droite : l’autoroute lumineuse faite d’étoiles et d’amas,

de constellations et de nébuleuses, le bras de Sagittaire-Carène ! Seigneur ! C’est cette route

qu’il doit emprunter sur des milliers et des milliers d’années-lumière.

Daïk contemple les manches de sa combinaison espace-temps avec un mélange d’effroi

et de fierté un peu crâne. Il configure les rétro-propulseurs, active l’inverseur

de force qui utilise la puissance d’aspiration gravitationnelle en négatif et propulse

la capsule à toute vitesse vers le rail du Sagittaire-Carène, l’un des quatre bras spiraux

majeurs de la Voie Lactée qui le conduira jusqu’au bras de banlieue d’Orion, entre le bras

du Sagittaire et celui de Persée.

Mais soudain, Daïk est pris d’un doute. Ne doit-il pas remonter à la source

 au lieu d’aller observer le symptôme le plus visible de toute l’histoire de cette

planète depuis l’espace ? Le vieil Ann Drouiz lui a suggéré d’étranges connexions

liant son peuple aux légendes terrestres. Toutes ces légendes ne sont-elles pas

fondatrices d’un ordre nouveau ? L’extrado ne doit pas se tromper d’objectif. Si origine

humaine il y a, alors c’est bien aux sources de la légende qu’il doit remonter. C’est

aux origines du chant des Séries, du temps des premiers druides de Bel !

Daïk entend la voix de Merlin, celle de Taliésin, tous lui parlent des huit vents,

des sept éléments, de l’Ile de Mon, des feux perpétuels au sommet de la montagne.

Il songe aux paroles d’Ann Drouiz. Il faut remonter au temps des premiers druides

pour comprendre d’où proviennent ces innombrables et majestueuses légendes

terriennes qui ont tant nourri sa propre civilisation. Ce peuple qui a périclité

sur terre n’a pas tant inspiré le cosmos par hasard. Les explosions atomiques

ne peuvent-elles pas être à rapprocher des feux des druides ? Il semble que le désordre,

l’ignorance, aient vaincu des humains et laissé éclater au grand jour et à la face

des mondes extraterrestres, toute leur dérive suicidaire. L’atome ! L’un des huit éléments

au même titre que le vent. Au même titre que le feu. En aucun cas un élément

supérieur devant tyranniser les autres.

En aucun cas un maître.

Daïk maîtrise les bases de l’astrophysique, discipline essentielle à sa survie,

mais ignore à quelle période précise remonter. Il décide de s’approcher de la Terre,

d’emprunter ce tunnel galactique menant du trou noir jusqu’au cœur de la constellation

du Sagittaire, au point de passage le plus étroit entre le bras du Sagittaire et le bras d’Orion.

A charge ensuite de trouver un relais énergétique pour le propulser vers le système solaire.

Une certitude : il devra dérouter son appareil pour sortir du flux à une distance comprise

entre vingt-six et vingt-huit milles années-lumière du centre de la Voie lactée. Il pourra

s’appuyer sur une étoile naine rouge de la constellation du Sagittaire, distante

de près de dix années-lumière, voire d’une autre naine rouge à 4,3 années-lumière

dans la constellation du Centaure. Troisième possibilité : pointer cette super-géante,

dans la constellation de la Carène, au gouvernail de ce que les astronomes terrestres

nommèrent jadis le Navire-Argo, un ensemble de trois constellations imbriquées.

Et que dire de Sirius, dans la constellation du Grand-chien ?

Nom d’un chien justement, comme diraient les Terriens ! Daïk a l’embarras du choix

pourvu qu’il ne commette l’erreur de sortir des rails le conduisant dans un coude sur la face

externe du bras d’Orion.

 

L’extradolescent ajuste le col de sa combinaison, pointe son curseur

sur la spirale, met les rétro-propulseurs bien dans l’axe du trou noir derrière lui,

et… go !

Go !

Il fonce. Et il troque. Il troque une éternité pour une fraction de seconde.

Il troque des milliards de dollars du Zimbabwe pour un franc suisse. Et il cible l’Europe,

le pays des druides. Il hésite entre l’Ile de Mon, sur la grande Ile de Bretagne,

et le pays des Vénètes qui ont combattu les armées de César comme l’évoque

le chant des Séries. Nombre onze ou douze ? Peu importe, il ne sait plus trop.

Il sait juste qu’il doit faire vite parce qu’il craint que ses parents soient déjà sur ses pas...

Daïk actionne le col de sa combinaison, synchronise l’espace et le temps,

ferme les yeux. Il opte pour les Vénètes. Parce qu’il se souvient de lointaines légendes.

De mégalithes connectés aux astres. D’alignements au milieu des bois.

Des druides y font procession depuis des siècles et des siècles. N’innombrables légendes

courent à travers la lande et au creux des forêts fécondes.

Non loin de là, une colline se dresse avec un grand mégalithe brisé depuis

la nuit des temps. Un autre ensemble de pierres en forme de cercle est à moitié

englouti par les eaux depuis des milliers et des milliers de révolutions.

Il opte pour ces terres désolées. Désolées, mais si riches en enseignements

sur ces lointaines croyances fondatrices...

 

*

 

L’enfant est allongé comme un poilu sacrifié au fond de sa tranchée

au beau milieu d’une assemblée de schtroumpfs et de playmobiles. Il gît comme

un chef de guerre parmi ses combattants. Sous son poids, sa tête a fracassé

le pont levis de son château de sable géant. Ses épaules ont éboulé le flanc

des douves. Tout son corps baigne dans une eau saumâtre. Joss découvre

avec stupeur que son fils avait coulé du ciment au fond de son bac à sable !

Alimentées à chaque averse, les douves semblent communiquer par

un système de trop-plein vers une mare grande comme un cercueil...

 

Il découvre aussi que l’enfant a planté des piquets comme les charpentiers

de marine le faisaient afin d’assembler les coques de navire à partir de bois

flotté immergé. A côté se dresse un moulin fait d’éléments récupérés à l’aide

de vieux jouets démontés. L’enfant respire, mais Joss a beau le secouer comme

un prunier et lui flanquer des paires de gifles, il ne parvient à le ramener

à la conscience. Ses cheveux collants font corps avec son tombeau éphémère comme

s’il était une épave échouée sur le flanc, au pied de son œuvre. Sa création l’a emporté,

fossilisé. Son fils a été transformé en pantin de bois ! Il ressemble

à une marionnette en pleine crise d’apoplexie. Joss éboule encore un peu

plus les douves du château du revers de la main, puis incline le corps

de son fils en position de sécurité. L’enfant respire toujours, il n’y a aucun

doute là-dessus ! Pas la moindre trace de sang, ni d’hématome…

Son fils a-t-il pu faire un malaise vagal, s’évanouir ? Joss veut y croire… Il détale

comme un lapin, pénètre dans la maison, s’empare du téléphone,

appelle Koupaïa tout en composant le numéro. Elle ne répond pas.

De la lumière provient de l’étage par la cage d’escalier :

-Vite ! Nathan a fait un malaise ! IL NE BOUGE PLUS !

Joss redescend, saisit un plaid et un coussin dans le salon, s’élance

à nouveau jusqu’au fond du jardin. Il y a de la lumière à la fenêtre des Anglais.

Pas de seins nus ce soir, plus de joutes verbales, juste un impératif :

sauver son fils. Prier les urgences. Qu’elles méritent leur nom !

Koupaïa surgit à son tour. Ses cheveux lui donnent un air de Celte insulaire

descendue de ses montagnes septentrionales. Joss imagine une lointaine

descendante picte ou scot déboulant sous une pluie naissante annonciatrice

du déluge. L’incurie, le péril sont à nos portes ! Un seigneur maléfique a intenté à la vie

de notre fils, on a jeté un sortilège !

Revenu à ses pieds, Joss trouve que Nathan est comme possédé avec

ses yeux fixes.

Joss le voit bien, maintenant que les siens s’habituent aux ténèbres...

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 475 609
Publicité