Voyage dans le temps, à Prague

Prague, et son horloge astronomique.

Voyage dans le temps, 1993.

C'était fin décembre 1993, plus exactement. Retour sur un séjour d'une semaine avec un voyagiste spécialisé dans les vacances pour étudiants désargentés. Ce fut une véritable manne. Le Rideau de fer était tombé quelques années plus tôt.

Oups, dommage : photo floue, prise dans le centre de Prague, non loin de Narodni Trida,

Dans les esprits, c'était encore assez perceptible. A la frontière, les douaniers tchèques n'avaient pas encore dégrafé l'étoile rouge de leur képi. Une Tchécoslovaque tardive en tenue d'apparat avait examiné nos papiers avec un zèle et un autoritarisme révélateurs d'une époque. Les vestiges de l'ère communiste étaient bien visibles à commencer par le tramway rouillé et troué de Pilsen, à mi chemin entre la frontière allemande et Prague, ou par le métro de la capitale tchèque et ses effigies à la gloire de l'amitié soviéto-tchéco-slovaque.

L'hôtel venait tout juste d'être rebaptisé Hôtel Tourista suite à la grande restitution post-communiste (si bien évoquée par Milan Kundera - je pense à L’ignorance...), mais sur les cartes et à la station de bus la plus proche c'était toujours l'Hôtel Motorlet.

Motorlet, un établissement qui fleurait bon le collectivisme avec ses toilettes à partager, sans aucune porte. Vue imprenable sur le WC du voisin et prière de fournir le papier ! Les chambres, elles, grouillaient de cafards, on en retrouvait jusque sous l'oreiller.

Il flottait quelque chose de suranné, même si l'on sentait déjà le basculement vers l'économie de marché : les affiches quatre par trois, les bureaux de change à foison, les voitures occidentales et japonaises, les hordes de touristes dans les rues de Staré Město. Les Tchèques, eux, semblaient se chercher entre ces deux modes de société, entre une jeunesse déjà reconvertie et des générations antérieures, un peu déboussolées. Parce qu'ils ont tous basculé, à marche forcée, dans une autre économie. Rappelons simplement que la restitution des biens collectivisés se déroula sur une année seulement ! Avec les difficultés que cela entraîne. Et voyant débouler de facto ces touristes occidentaux, jadis ennemis officiels - mais fantasmés - avec leurs deutsch-marks et leurs Traveller’s chèques.

La donne a bien changé. Ces mêmes Occidentaux fustigent le hold-up des délocalisations qui ont bien relancé la Tchéquie. Voilà que l'on observe, envieux et nerveux, leur taux de chômage, leur croissance économique... Pourtant, on était bien content d'ancrer l'Europe centrale à notre modèle. On fantasmait sur ces millions de nouveaux consommateurs. Les multinationales allemandes, autrichiennes ou françaises se sont ruées vers l'Est en s'emparant de pans entiers de leur économie. On a eu ce que l'on voulait. Et voilà que l'on vient aujourd'hui s'indigner, blâmer ces maudits Européens de l'Est - Macron, encore récemment.

Normalement, ils auraient dû rester à la remorque de l'Europe de l'Ouest avec juste assez d'argent pour acheter nos produits.

C'était prévu comme ça. Manque de chance, Prague est devenue l'une des villes les plus prospères d'Europe...

Reste que découvrir Prague, au lendemain de la Chute du mur, c'était remonter doublement le temps. 

Car découvrir Prague, outre remonter à la charnière entre communisme et capitalisme, c'est aussi cette stupéfiante immersion dans le vieux quartier juif de Josefov. 

Et quel lieu symbolique, dès lors qu'il est question de regarder dans le rétroviseur de la fragile Histoire. 

Si fragile Histoire...