Daïk, chapitre 24
AÏK DEBARQUE SUR TERRE. Il cible l’Europe,
terreau des légendes, contrée des mythos !
Mais Joss est loin d’imaginer que Daïk va bouleverser sa vie
ou plutôt... sa mort.
Il y eut un grand flush. Mais pour une raison indéterminée, Daïk atterrit quelques
années APRÈS l’ère des tirs nucléaires. Sans doute a-t-il mal ajusté
sa combinaison espace-temps... Heureusement, tout n'est
pas perdu : Daïk atterrit bel et bien en Bretagne, au pays des Vénètes...
Et par chance, il échappe à la course de la Redadeg, le tour de la Bretagne
à pied que des types sont prêts à payer pour y participer parce que
leur culture judéo-chrétienne ne doit pas être assez mise à rude épreuve par le sens
fiscaliste aigu de leur pays ! Mais c’est pour la cause : ils dézinguent des portiques écotaxes,
mais sacrifient quelques foulées pour palier au manque d’interventionnisme de l’Etat,
tiens, l’Etat, libéral quand ça l’arrange et qui a décrété de ne surtout pas trop
en faire pour une langue de dégénérés qui va s’éteindre d’elle-même. Sa mort est
plus ou moins programmée et actée ! Daïk est donc à deux doigts d’atterrir dans
un terroir d’acculturés en devenir qui ne seront bientôt plus en mesure de lui
expliquer le chant des Séries dont on se fout déjà pas mal. Comme ébouriffé
par le passage des coureurs (des romains ou des vénètes ???), il est intrigué
par l’odeur qui émane d’un bouge vaguement amélioré tenu par une vieille
« mamm gozh », comme ils diraient ici, et qui ressemble à une sorte de soupe
protéinique (le bouge, pas la grand-mère)...
Après avoir chuté lourdement avec son scaphandre espace-temps sur
cette placette pour le moins étrange, Daïk ne peut que constater que ces
humains ont découpé des blocs de roches métamorphiques issues de leur
propre sol, sol plus dur encore qu’une lune inculte, et qu’ils les ont empilés et
que… mais... Seigneur… ils vivent dedans ! Avec tout le radon radioactif que
cela suppose ! Oui, au mépris des règles élémentaires de la physique nucléaire,
dans des sarcophages atomiques, sans scaphandre !
Modèle du genre, la construction rocheuse d’où émane cette forte odeur
de molécules protéiniques l’interpelle. Non seulement les humains vouent
toujours un culte à la farine de l'air, mais ils se nourrissent aussi d’une
pâte informe créée à partir de farine végétale, agrémentée de matière
grasse à mort lente ! Houuuch ! Un truc terrible. A sa connaissance en univers II,
n’importe quel organisme vivant ne résisterait pas à un tel régime alimentaire.
C’est un signe qui ne trompe pas : les humains s’autodétruisent VRAIMENT. Ils
ne tiendront jamais un milliard de révolutions terrestres et leurs modes de vie
semblent à des années lumières des standards de n’importe quel peuple qui
anticipe un tant soit peu sa survie dans le cosmos ! L’immortalité, ce n’est
quand même pas trop compliqué d’après tout ce qu’on lui a bassiné pendant
sa prime jeunesse !
Non. Pas l’ombre d’un vaisseau spatial, d’une capsule protégeant des radiations.
Au lieu de quoi les Terriens du coin s’abritent dans de vieilles charrues de feu
équipées de panneaux transparents qui font effet loupe. Daïk s’approche sur la
pointe des pieds des humains assis à des tables à base de carbone. Par chance,
il fait deux bonnes têtes de moins que le plus petit de leurs modèles, des enfants
du druide en plus rustres et bruyants. L’une d’eux, une petite femelle (il la reconnaît
à sa démarche féline semblable à celle de sa cousine sur-éduquée Sannah) lui semble
un peu plus évoluée que les autres marmots. Limite il pourrait l’imaginer en
compagnie d’un druide causant rhétorique métaphysique et astronomique.
Mais il ne doit pas enfreindre la Loi, surtout pas maintenant !
Il doit pénétrer l’esprit d’un enfant du druide en toute discrétion.
Le mieux est de passer son chemin et d’entamer une longue analyse quantique
dans le but de sélectionner un modèle s’approchant le plus possible du bel enfant
du druide. L’idéal serait d’approcher d’un enfant ayant entendu parler
de Taliésin ou de Merlin (mais peut-être est-il déjà trop ambitieux). L’extradolescent
ignore que sur cette planète, le chaos fait loi : vous pouvez toujours planifier,
rien ne se passera comme prévu. C’est comme leur météorologie d’une inconstance
surprenante et d’une extrême variété. Ici, tout est en nuance. A part la pointe Finistère,
pas de vents démoniaques (2.000 km/h sur sa lointaine sœur Neptune),
pas de croute terrestre gelée sur des milliers de kilomètres ni de sol spongieux
ou gazeux. Non, tout semble d’un équilibre absolu, mais si on y regarde de près,
cet équilibre des forces a un gros défaut : il est très fragile et le peuple terrien,
loin d’être rustre, est à l’image de sa planète, d’une violence aussi inouïe qu’invisible,
d’une diversité d’âme et de pensée insoupçonnables sous des dehors uniformes.
Mis à part la couleur de leur enveloppe et la texture de leurs poils (parce
qu’ils ont des poils comme certaines proto-espèces), les êtres qui l’entourent
ont tous, à de rares exceptions près, le même nombre de bras, de pieds, d’yeux.
En revanche, une quantité invraisemblable d’espèces pullule : des bêtes qui volent,
qui grattent, rampent, flottent, nagent, des bactéries par milliards que les humains
ne semblent même pas voir, des méduses comme on en trouve en univers III…
Un joli capharnaüm qui n’est peut-être pas étranger à l’agressivité permanente
qui fait la réputation des humains. Ils sont dérangés ou sollicités en flux tendu
par une infinité de bestioles qui tantôt viennent leur sucer le sang, tantôt
les empoisonnent, les dévorent pendant leur sommeil, quand elles ne viennent
pas leur réclamer à bouffer en leur hurlant dessus ! Paradoxalement, ce sont celles
qui leur crient dessus en permanence qu’ils osent appeler des « espèces domestiques ».
Résultat des courses : les humains se vengent comme ils peuvent en les découpant,
en les brûlant, en les mangeant, ou parfois en les transformant en mobilier !
D’aucuns dort avec des macchabés vidés de leurs entrailles transformés en descente de lit.
Bref, tout juste arrivé sur Terre, Daïk est déjà impressionné par le nombre incalculable
d’usages que font les humains de leurs colocataires. Il leur arrive même de les
transformer en capsules qu’ils avalent avec de l’eau dans des sortes de récipients
transparents comme les vitres qui ornent leurs machines roulantes.
En fait, seules les bactéries ont encore le dessus sur l’homme. Une règle générale
semble ainsi dominer sur cette planète : les proies ignorent - ou mésestiment
au mieux - leurs prédateurs. Ils ne voient jamais le coup venir et succombent
bêtement à ce qui semble pourtant couler de source au jeune Daïk. Tiens, les bactéries,
par exemple, un modèle du genre ! L’être humain fait preuve d’une créativité
sans faille dans ses rapports aux autres, mais s’accommode coupablement
de ce qu’il ne perçoit pas comme un danger, et lorsqu’ils recourent à toutes sortes
de machines aussi absurdes qu’archaïques, c’est pour mieux se perdre dans
des complications invraisemblables. Dieu qu’ils sont encore loin du compte !
L’immortalité n’est pas pour demain, ni pour après demain, alors qu’elle devrait être
une quête permanente. La destruction, en revanche, apparaît clairement comme un mode
de fonctionnement. Les livres et les récits de ses pères étaient justes. Daïk perçoit toute
l’ampleur de la menace : on comprend mieux la défiance universelle qui règne à
leur encontre.
L’extradolescent renonce à s’approcher du fameux bouge d’où proviennent
ces grognements hystériques et menaçants. Il se faufile entre les constructions
en roche brute et traverse des nuées de bactéries et de petites bêtes. Au détour d’un
édifice, un espace avec des cailloux découpés en cube et bien alignés. Au milieu de
cet espace : une construction en granit représentant un être humain comme si l’un
d’entre eux avait été coulé dans de la roche en fusion ! Un sacrifice humain peut-être ?
Ou bien le témoignage d’un rite comme il en existe tant dans les récits antiques…
Daïk tiendrait-il déjà une piste ? Il approche du monument sacrificiel.
L’homme ressemble à celui dont il est question dans nombre de récits druidiques.
Jésus Christ. Mais seul le chant sacré des Série l’intéresse.
Daïk délaisse donc le vestige hérité du rite nécrophage. Il paraît que les hommes
ont dressé pléthores de vestiges semblables dans ces contrées sauvages.
Pourquoi représenter ainsi à l’identique (ou presque) partout ce qui ne s’est produit
qu’une seule fois ? Pour rendre universel ce qui a été à l’origine un événement
isolé, particulier ? Alors, ces hommes sont vraiment passés maîtres dans l’art
de la reproduction… Là encore, sûr qu’ils ne doivent même pas s’en rendre compte,
mais tout est affaire de reproduction chez eux, absolument tout ! Les objets,
les représentations, même leurs tenues invraisemblables !
De l'utilisation d'un photocopieur
Tout juste débarqué, Daïk a déjà eu tout le loisir d’observer plusieurs petites
femelles habillées de la même façon avec des représentations identiques. Les mêmes
petites filles avec les mêmes petits animaux de couleur criarde gravés sur leurs
vêtements, le tout agrémenté de calligraphies anciennes. Espèce sexuée douée
de capacités de reproduction, l’être humain pense ABSOLUMENT TOUT
SON ENVIRONNEMENT DANS LA DUPLICATION. Pourquoi ? Par peur que l’espèce s’éteigne ?
Convient-il de répéter en boucle le message :
Reproduisez-vous, vite, vous allez tous crever !
C’est ça. L’être humain est obsédé par sa propre disparition et a structuré
tout son environnement de manière à rappeler en permanence qu’il convient
de penser reproduction à chaque instant et dans toutes les actions de son existence.
Le jour où il deviendra immortel ou qu’il ne procréera plus que par le biais de
la génétique, alors ne trouvera-t-il peut-être plus judicieux de dupliquer
les éléments qui composent son environnement.
Daïk évite de justesse un nouveau banc de microbes en tous genres dont
deux germes hautement pathogènes (pour les humains). Plus loin, plusieurs
arbres surgissent. Seigneur ! Des arbres !!! Daïk songe au chant des Séries du nombre neuf :
Neuf petites mains blanches sur la table de l'aire, près de la tour
de Lezarmeur, et neuf mères qui gémissent beaucoup.
Neuf Korrigans qui dansent avec des fleurs dans les cheveux et des robes
de laine blanche, autour de la fontaine, à la clarté de la pleine lune.
La laie et ses neuf marcassins, à la porte de leur bauge, grognant et fouissant,
fouissant et grognant; petit ! Petit ! Petit ! Accourez au pommier !
Le vieux sanglier va vous faire la leçon.
LE POMMIER, végétal immense, curieux, bruissant de petites bêtes minuscules,
mais complètement hystériques autour des branches de l’arbre. LA VIE ! La vie
qui frémit, grouille, palpite, sort par tous les pores. Des milliers et des milliers
d’espèces qui se croisent, s’évitent de justesse ou, à l’inverse, se bouffent le cul.
L’X-ado est stu-pé-fait ! Est-ce le témoignage d’un monde chaotique ? La vie
tendrait-elle à se multiplier ou à se concentrer avec l’évolution ? Au vu de son
propre monde en univers II, il lui semble que l’évolution s’accompagne d’une grande
réduction du nombre d’espèces. Elles s’agglutinent, fusionnent telles des galaxies
qui s’absorbent. Daïk songe à Andromède et à la Voie lactée bientôt réunies
comme 1+1 font 1.
Déjà fort indisposé, l’extradolescent est saisi d’une terrible angoisse. Tout ce monde
lui semble si complexe et dangereux. Il comprend mieux la puissance et la grande
diversité des légendes terrestres. Comment survivre dans un tel chaos
permanent sans s’édicter des règles intangibles et sans, surtout, se représenter
le monde au travers de récits métaphysiques ou, disons, du moins, globalisants ?
Le seul fait de déambuler dans cet univers lui colle la frousse et brouille son esprit :
il ne sait même plus ce qu’il cherche tant le nombre d’informations
qui l’assaille est vertigineux.
N’importe quel esprit dénué de repères et de principes éducatifs se sentirait
agressé en permanence. Daïk ne tiendra jamais plus d’une révolution terrestre
s’il ne garde pas à l’esprit le sens de sa quête : aller au bout du chant des Séries,
comprendre le sens du nombre Un. La Nécessité unique. Le Trépas père de la Douleur.
Rien avant, rien de plus…